Chapitre
IV
Quand l'empereur
devient Mat
L’Empereur
En ce réveillant ce
matin, Mat ressent immédiatement la différence d’énergie avec la
veille où il avait peu dormi: il est reposé, tonique, dynamique. Il
plie rapidement son bivouac car une force irrésistible le pousse à
partir tôt.
La montagne qui se
dresse devant lui l’impressionne. En regardant la montée qui
l’attend en première partie de journée, il se dit qu’il n’y a pas
une minute à perdre, l’avance lui permettra, le cas échéant, de se
reposer.
Prêt à affronter cette
nouvelle journée, il tire la carte du jour. C’est l’Empereur qui se
présente comme le maître du jour.
Le premier lien que Mat
fait avec l’Empereur, est la maîtrise de l’action et l’indépendance
dans ses choix. Il s’est levé tôt car il veux partir avant le lever
du soleil. Cette côte impressionnante qui se dresse devant lui, le
pousse à bien se préparer.
Dans son for intérieur,
cette situation lui souffle une question: est-ce parce qu’il est
dans une dynamique de prise de décision et de planification qu’il
tire l’Empereur, ou a-t-il tiré l’Empereur parce que la journée
suggère une bonne gestion de ses ressources ? Au fond de lui, il
connaît la réponse, même s’il n’en fera pas une thèse. Les deux
éventualités sont indissociables, cela se présente comme ça car
c’est l’énergie du jour, voici une parfaite démonstration du
phénomène de synchronicité. Et voici encore une situation
démontrant, une fois de plus, que le tarot est le reflet du présent,
l’avenir n’étant que la suite dudit présent. C’est vrai que cela à
déjà été dit plusieurs fois, mais on ne le répétera jamais assez.
Pour en revenir à
l’indépendance dans le choix, cela appartient autant à l’Empereur
qu’au Mat, même si l’on peut effectivement parler d’indépendance
concernant le Mat alors qu’il s’agit plutôt d’autodétermination à
propos de l’Empereur, la nuance est peu perceptible et pourtant,
elle fait toute la différence. Le premier cherche à se libérer des
contraintes pour avancer selon ses règles, alors que le second prend
ses décisions pour gérer à sa façon les contraintes qui se
présentent à lui.
Il se trouve
qu’aujourd’hui Mat a le choix d’adopter (momentanément) les qualités
de l’Empereur, c’est un apprentissage qui ne pourra que le rendre
plus solide.
Pendant qu’il se fait
ces réflexions, Mat se rend compte que sa collaboration avec
l’Empereur était déjà en place depuis longtemps. En effet, cela fait
plusieurs jours qu’il a décidé de modifier les étapes proposées par
les guides, il a depuis longtemps résolu de s’organiser lui-même en
fonction de son propre rythme, sans avoir à suivre le modèle commun.
Certains appellent cela le désordre ou l’anarchie, Mat appelle cela
le libre arbitre et la confiance en soi.
En observant bien cette
association Mat/Empereur, s’il est vrai que c’est bien le Mat qui
prend l’initiative de modifier les étapes, c’est, en revanche,
l’Empereur qui décide de partir tôt afin de gérer au mieux cette
journée. Nous le vérifierons en fin de journée, mais le mélange
semble porteur et très créatif.
Le monde appartient aux
gens qui se lèvent tôt ! Mat ne sait plus de qui sont ces paroles,
mais elles lui donnent raison, même si cette phrase n’a certainement
pas été dite dans le même état d’esprit. L’auteur parlait
certainement de richesses acquises grâce au travail, alors que c’est
la magie de la vie qui enrichit Mat en ce moment.
Le fait de partir tôt
assure, d’une part, la fraîcheur du matin, certes, mais surtout, la
latitude nécessaire pour ne pas avoir à se presser, pouvoir marcher
à son rythme, en fonction du poids porté, de la pente et de ses
capacités physiques ! C’est un réel sentiment de grandeur, même une
forme de vitalité accrue, que d’être maître de la situation, de
savoir que l’on gère, qu’il n’y aura nul besoin de courir après les
événements pour se maintenir à flot. Et cela durant toute la
journée.
Mat a même eu la chance
de connaître un infini moment de plaisir comme seules l’harmonie et
la nature peuvent en offrir. Ce plaisir, Mat l’a rencontré avec deux
fraises des bois, oui vous avez bien lu, deux minuscules fraises des
bois ! Elles étaient là, au bord du chemin, deux parmi tant
d’autres, elles arboraient une couleur différente, un rouge carmin
qui sensuellement appelait des lèvres friandes, une bouche
gourmande. Alors Mat, pourtant en plein effort, s’arrêta pour
prendre le temps de les savourer. Quel bonheur, quelle intensité
dans le goût de ces deux fraises apparemment insignifiantes. Leur
saveur était telle que Mat ne put éviter d’exulter son plaisir dans
un « hum… que c’est bon ! » Le souffle fut tel que les autres fruits
de la forêt durent certainement en pâlir de jalousie.
Les yeux fermés, il
prolonge quelques instants ce moment magique, puis il reprend son
chemin sans éprouver aucunement le besoin de savourer d’autres
fraises, qui pourtant étaient abondantes.
C’est aussi ça
l’Empereur, il peut être gourmand mais surtout il a besoin de
moments de plaisirs intenses et privilégiés, il a besoin de
décompresser et de se détendre, cela proportionnellement au sérieux
de son engagement dans ses responsabilités.
Par contre, un vrai
Empereur responsable n’abuse pas des bonnes choses, d’une part,
parce qu’il ne s’attarde pas, alors qu’il a du travail à accomplir,
et d’autre part, parce qu’il connaît la valeur des choses, et la
qualité primera toujours sur la quantité.
Lorsque l’on voit des
gens consommer du caviar à la louche, ils ont beau être riches, ce
ne sont pas des Empereurs mais seulement des prédateurs. Pour ma
part, je donnerais toute ma confiance au patron d’une entreprise
riche qui saurait modérer et savourer les bonnes choses, plutôt qu’à
ceux qui se gavent et arborent tous les signes extérieurs de
richesse, alors que tous les voyants sont au rouge ! Ceux-là ne sont
pas des Empereurs mais des Diables ; donnez du pouvoir au diable,
vous savez ce qu’il en fera !
Au même titre, lorsque
des individus lambda cueillent des fleurs rares à en remplir le
coffre de leur voiture, ou lorsqu’ils se gavent de fruits sauvages
en piétinant toute la nature environnante, sans même prendre le
temps de savourer les subtilités olfactives et gustatives des fruits
qu’ils sont en train de massacrer, ils ne sont pas non plus des
Empereurs et ne sont pas prêts de le devenir !
Ces détails, personne
ne les assimile habituellement à l’Empereur, pourtant Mat ne peut
s’empêcher de les lui attribuer. Peut-être que la carte du jour
influence sa vision, mais si elle a été tirée ce n’est certainement
pas un hasard. Plus tard, lorsque Mat repensera à cette journée, il
ressentira vraiment l’Empereur dans toute sa grandeur, et bien qu’il
soit le plus souvent responsable des autres, être responsable de
soi-même est déjà un bon début. D’ailleurs, c’est faire un
formidable grand écart que d’être un Mat et simultanément remplir
les fonctions d’Empereur !
Ce qu’il y a
d’extraordinaire également c’est de ressentir à quel point le fait
d’être maître de sa vie donne des forces supplémentaires, à quel
point cela peut rayonner autour de soi. Ça, c’est le Mat dans toute
sa force, il est capable de travailler avec les outils de
l’Empereur, mais en restant Mat jusqu’au bout des ongles.
Après cette montée, qui
fut bien moins harassante qu’il ne le craignait, résultat de la
bonne gestion du parcours, Mat croise sur son chemin un petit bar
pique-nique très bien tenu, accueillant à souhait. Ce sont juste
quelques tables posées sur un gazon parfaitement entretenu et
ombragé. Pas de chichis ni de flonflons, mais seulement l’harmonie
d’un lieu aimé et bichonné par son propriétaire. Il y règne une
telle félicité que bien qu’il soit encore fermé Mat décide de s’y
arrêter.
Un bon Empereur doit
aussi savoir ménager sa monture s’il veut aller loin.
Alors qu’il est
installé depuis quelques minutes, Mat remarque dans le gazon trois
pièces de monnaie. Il les ramasse machinalement en se disant ces
paroles bien connues : « C’est le début du million ». Il se dit
aussi qu’un Empereur ne doit pas négliger ce qui semble modeste, car
son empire est constitué d’innombrables choses insignifiantes, c’est
aussi le dicton des petits ruisseaux et des grandes rivières… Mais
au moment de les glisser dans sa bourse, il se ravise, « Attention »
se dit-il ! Je ne suis pas dans la rue, ces pièces jonchaient un
terrain appartenant à quelqu’un, ce sont même certainement des
pourboires laissés par un client attentionné, donc elles
appartiennent au propriétaire des lieux et non à celui qui les
trouve. En poussant plus loin la réflexion, il devient aussi évident
qu’un bon Empereur ne prend pas l’argent de ses sujets. Il protège
son peuple et respecte le fruit de son travail. Pour la rémunération
de l’Empereur il existe d’autres leviers. Il laisse donc ces pièces
de monnaie sur la table.
Dans sa peau de
pèlerin, le Mat aurait pu tout aussi bien reposer ces piécettes car
le million ne fait pas vraiment partie de ses désirs, que les
conserver par pure naïveté ; il n’est pas vraiment habité par le
sens de la propriété.
Plus tard, dans la
journée, nous sommes un dimanche, Mat assiste à une scène de vie
absolument magique dont certains aspects peuvent aussi appartenir à
l’Empereur.
Sur la piste, arrivent
au loin deux engins motorisés. Lorsque ceux-ci se rapprochent, Mat
constate que ce sont deux quads, un normal conduit par un adulte et
un modèle miniature conduit par un enfant que Mat suppose être le
fils du premier. Imaginez la scène : le père roulant au pas et
surveillant en permanence son petit qui le suit. À cet instant, Mat
se rend compte qu’il aurait bien apprécié de vivre cette scène, tant
avec son père qu’avec son fils. Il vit un petit moment de blues mais
revient rapidement en spectateur de la scène qui se joue devant lui.
Il voit un homme rayonnant de tout ce que l’on imagine d’un homme, à
savoir de l’assurance, de la fierté, de la patience, de la maîtrise
et surtout ce qui ne se voit pas toujours : une montagne de douceur
et de tendresse protectrices. En admirant la scène, Mat imagine
l’aigle impérial protégeant son petit sous son aile. D’ailleurs, le
père est entièrement conscient de la magie de la scène : le regard
fier et complice qu’il lance à Mat en le croisant apporte vraiment
la touche d’émotion la rendant inoubliable. Et pour bien ficeler la
scène, on voit à l’arrière l’enfant qui, en toute confiance, se
concentre sur la route sachant que rien ne peut lui arriver, puisque
son père le protège.
Cette scène aurait
aussi pu être attribuée au Pape avec le père enseignant la conduite
à son petit. Pourtant je préfère la voir dans les prérogatives de
l’Empereur, car c’est le protecteur et le responsable que l’on voit
en tout premier lieu. Et le « hasard » a voulu que ce soit le jour
de l’Empereur.
En fin d’après-midi,
Mat atteint un village pittoresque par son aspect médiéval mêlé à
une agriculture pénible, laborieuse où la beauté se cache peut-être
à l’intérieur, mais où visiblement les gens n’ont pas le temps de
décorer leurs rues ni leurs maisons.
Ce sont les extrêmes,
d’une part des constructions moyenâgeuses appartenant visiblement à
des citadins qui les entretiennent bien, et d’autre part, des
maisons d’agriculteurs croulant sous le poids du travail et du
manque d’argent.
Les rues sont vides de
vie humaine, seule une ribambelle de chiens de toutes races arpente
les rues avec gaîté et légèreté. Ils approchent Mat pour renifler ce
nouveau venu, évaluer ses intentions avant de l’accepter dans leur
environnement.
Ce sont des chiens
comme Mat les aime, des bâtards, fruits d’unions commandées par les
pulsions créatrices, l’instinct de reproduction, donc de vie.
Des bâtards qui
rayonnent du doigt que le créateur posa sur leurs géniteurs un jour
de printemps.
Ça pétille de vie et
d’insouciance, on perçoit dans leur regard la force qui les habite.
Pour eux la vie est belle, et ils partagent leur félicité en toute
innocence.
Parmi eux, Mat se sent
pousser des ailes, bien qu’il ne soit pas accompagné de son chien,
Mat entretien une relation particulière avec eux, comme avec les
autres animaux d’ailleurs.
Tous ces chiens,
d’origines et de croisements différents, partageant le même
territoire, peut-être aussi les mêmes gamelles, et tout cela sans
heurt : l’humain aurait bien des leçons à prendre !
En première
observation, Mat se dit que les gens du village sont certainement
des gens ouverts et généreux de cœur. Pour avoir une pareille bonne
entente entre leurs chiens, ce ne peut être que de bonnes personnes.
Certains diront que la comparaison est réductrice, pourtant Mat a
toujours observé les animaux pour connaître leur maître, et cela
correspond toujours.
Mat se hasarde un
instant à imaginer que ces chiens aient eu des pedigrees de grandes
valeurs marchandes, fruits de sélections génétiques strictes
dirigées par des créateurs de pure race.
Le jeu de l’imaginaire
ne dure pas longtemps avant que n’apparaissent des images
inévitables ; ces chiens d’un autre monde finiraient par s’entretuer
pour leur territoire, ou tout simplement parce que leur odeur ne
plaît pas à certains.
A croire que l’homme
est incompétent dans le domaine de la création. Lorsque les croyants
disent que Dieu est parfait, dans cet exemple on ne peut que leur
donner raison.
La vie naturellement
dirigée par l’instinct de vie (exempte de possessions), cette vie
est par elle-même. Si seulement l’Homme pouvait écouter le Divin en
lui sans chercher à être Dieu.
Trêve de philosophie,
Mat pense maintenant à chercher un endroit pour se reposer et passer
la nuit. La journée a été riche en observations et un bon repos
s’impose.
Dans ce village, un
seul gîte s’offre à lui, et bien qu’unique en ce lieu, il est
charmant et très accueillant. Tant Mat que l’Empereur ont tous deux
bien mérité de se reposer dans un endroit calme, serein et pour ne
rien gâcher, beau.
En se délassant après
une bonne douche revitalisante, Mat repense à sa journée comme il le
fait presque tous les soirs.
En se remémorant les
événements du jour, soudain un chiffre bondit dans son esprit :
zéro !
Zéro, pour zéro pèlerin
croisé durant toute la journée. La seule Âme humaine avec laquelle
il a eu un échange est le père sur son quad, l’enfant ne l’a même
pas vu et tous deux ne faisaient que passer. Sans compter que
l’échange est très relatif puisqu’ils ne se sont adressés qu’un
sourire, complice certes.
Alors Mat pense à la
solitude de l’Empereur face à ses responsabilités. Il pense au poids
que cela doit représenter lorsque le choix qu’il doit faire ne
correspond peut-être pas à ses aspirations profondes. Il pense à la
solitude engendrée par la prudence et l’obligation de se protéger
contre les mauvaises intentions à son encontre, à la rétention des
émotions pour ne pas provoquer les jalousies.
Sur ces pensées, Mat se
félicite d’avoir bien travaillé avec les qualités de l’Empereur. Il
se dit même que la collaboration de leurs deux personnages produit
une alchimie hautement créative et constructive. Il se dit que la
foi et la spontanéité qu’il apporte à l’Empereur sont des valeurs
inestimables. Lorsque l’Empereur parvient à diriger ses actions avec
la confiance et l’inspiration du Mat, cela débouche sur des grandes
actions menées pour le bien de tous. Mais Mat se dit aussi qu’il ne
s’agit que d’intermèdes, car sa vraie nature est dans le mouvement,
la liberté d’action et la voie vers sa propre élévation, pas celle
des autres.
L’Hermite
Une nouvelle journée se
prépare, le soleil est encore sous l’horizon mais Mat est aspiré par
le mouvement et la marche en avant.
Ce matin la carte du
jour est Le Mat. Comme il s’agit de sa propre icône il décide de
tirer une 2ème carte. C’est l’Hermite qui se présente,
discret, donnant l’impression de vouloir rester en retrait comme
s’il voulait garder une place d’observateur. On dirait que la
situation présente le dérange, à moins que ce ne soit le présent qui
le dérange !
Mat reste interrogatif,
que doit-il faire avec les deux pèlerins du Tarot dans son
escarcelle du jour ? L’un lui parle de liberté alors que l’autre
l’invite à l’introspection, l’un parle de spontanéité alors que
l’autre l’invite à bien réfléchir avant d’agir.
Il faut dire que pour
débuter la journée, c’est l’Hermite qui a le dessus car Mat se prend
vraiment la tête en cherchant à comprendre ce qui lie ces deux
personnages hormis le fait que tous deux sont pèlerins.
Peut-être que ce sera à
nouveau une journée sans pèlerin, ou au contraire il ne verra que
des pèlerins partout ? Une idée lui traverse l’esprit : peut-être
est-ce la journée qui contiendra un condensé de tout son
pèlerinage ?
Durant les premières
heures de marche Mat ne fait que chercher, chercher, chercher.
Au bout de quelques
kilomètres, Mat commence à se faire des réflexions sur la latitude
de réponses possibles. C’est incroyable le nombre de possibilités de
réponses qu’offre une seule carte, surtout quand celle-ci,
l’Hermite, a la fâcheuse tendance à perpétuellement chercher des
nouvelles questions sachant que même ses réponses sont le plus
souvent des questions. Bien que Mat le sache déjà, cette évidence
lui parût flagrante même en ne considérant qu’une infime partie des
significations de chacune des deux cartes. De plus, il réalisa
combien un tarologue doit être en empathie avec son consultant pour
faire un bon travail.
C’est aussi la preuve
qu’une connaissance, même très approfondie des cartes, n’est pas
suffisante pour faire un bon tarologue. Les années d’expériences de
Tarot et les accumulations de diplômes et autres stages ne feront
qu’apporter des outils supplémentaires, mais sans le respect des
gens, un brin de médiumnité et un maximum d’empathie, le résultat
sera toujours insipide, impersonnel et même parfois
catastrophiquement destructeur.
Il pense à toutes ces
voyantes, oiseaux de mauvais augures qui se font un malin plaisir à
annoncer des catastrophes avec la Maison-Dieu, des femmes cachées ou
une maîtresse avec la Papesse, et invariablement un accident avec le
chariot inversé, quand il n’est pas mortel avec la XIII.
Lorsque l’on connaît le
pouvoir de la pensée, imaginez les dégâts que cela fait. A ce moment
là, Mat a accuse à nouveau un petit coup de blues en pensant
au pouvoir destructeur de l’humain, dont il fait heureusement, ou
malheureusement, partie.
En pensant à toutes ces
choses, il se rend compte qu’il est complètement parti dans les
sphères saturniennes de l’Hermite. Il pense maintenant à Saturne
airant dans l’univers en se remémorant ses erreurs passées. Il se
dit que même Saturne cherche certainement à se justifier de ses
erreurs en se disant qu’il n’avait pas le choix. Il doit
certainement se dire parfois « mais c’est à cause de x ou y
qui…... ».
Mat pourrait s’étaler
longtemps sur la chose, c’est d’ailleurs ce qu’il fait durant sa
marche ; marche qu’il effectue, pour l’instant, surtout dans la peau
de l’Hermite. Il se remémore bien des erreurs, ressenties comme
anciennes, cherche les explications : quelle aurait été sa vie ou
son présent sans toutes ses erreurs ? Surtout qui serait-il s’il
avait toujours su réagir avec justesse ? Un héro ? Un chanceux ?
Quelqu'un de respecté ? La liste serait longue mais une chose est
certaine, il ne serait pas sur ce chemin en train de rechercher
quelqu’un au fond de lui-même et surtout, il ne serait pas lui-même.
Il pense, il rumine, il
ressasse, il se prend la tête et cela dure des heures et des
kilomètres jusqu’à ce qu’il se rende soudain compte qu’il a perdu la
piste.
Il est ici au sommet
d’une côte, sur un carrefour sans aucun balisage. Bien que sa
boussole interne lui suggère une direction, il est perturbé d’avoir
perdu le chemin de son pèlerinage alors qu’avec les deux cartes du
matin, il vit normalement une journée de pèlerin, on peut même dire
des pieds (le Mat) à la tête (l’Hermite). C’est vrai que la tête a
pris beaucoup de place, que les pieds n’existaient plus que par les
automatismes.
La première réaction de
Mat est l’éclat de rire ; pendant qu’il remâchait ses souvenirs à la
façon de l’Hermite, il a mis le moteur en marche rythmée et ne s’est
rendu compte de rien, il est sur une crête boisée sans aucune
visibilité à moyenne longue distance et n’a d’autre choix que de
rebrousser chemin ou suivre sa boussole interne en espérant que
celle-ci soit exacte. Cette situation lui pose un dilemme, quel
Arcane doit-il endosser ? Le Mat et suivre sa boussole interne qui
sera certainement la bonne direction, ou écouter l’Hermite qui lui
indique de rebrousser chemin afin de retrouver l’erreur.
Bien qu’il soit Le Mat,
il décide de suivre l’Hermite par fidélité à son engagement de
suivre prioritairement l’Arcane du jour et également pour ne rien
perdre du tracé des chemins de St Jacques ; donc il redescend.
En faisant tous ce
chemin de retour Mat est impressionné par la distance parcourue
pendant qu’il ressassait ses histoires (son passé). Il parcourt au
minimum 3 kilomètres sur un dénivelé d’environ 150 mètres avant de
retrouver le balisage. C’est comme si l’Hermite lui donnait un grand
coup de coude ; « Tu te rends compte du temps perdu à ruminer le
passé ?». Cette réflexion est une nouvelle prise de conscience pour
Mat.
Lorsque le besoin se
fait sentir de retrouver ses expériences passées, il est préférable
de s’arrêter, on pour y réfléchir le temps qu’il faut, puis
de repartir l’esprit léger, ouvert sur l’avenir, et certainement pas
comme Mat vient de le faire, en prenant son passé avec soi !
Merci l’Hermite, la
leçon raisonne comme une clac, mais il s’en souviendra.
Bien qu’ayant retrouvé
le balisage, Mat n’y comprend rien, il ne se souvient pas du chemin,
il ne reconnaît pas l’endroit, il est perdu alors que le balisage
retrouvé devrait le conforter. C’est normal ! Il était plongé dans
ses pensées, donc il n’a rien vu. Encore une réflexion à se faire
sur les moments de vie perdue, ces tranches de vie non vécues car
préoccupé par autre chose.
Il reprend le chemin en
suivant le balisage mais ressent toutefois un grand doute quant à la
justesse de la direction empruntée. Il ne tarde pas à avoir la
confirmation de ses doutes. Environ 2 kilomètres et 100 mètres de
dénivelé plus loin, il reconnaît enfin l’endroit. C’est donc la
confirmation qu’il vient de parcourir toute cette distance en
marchant sur ses pas !
Il lui a donc fallu
rebrousser chemin sur 5 kilomètres et redescendre un dénivelé de 250
mètres pour se retrouver ! « Stop l’Hermite ! » Crie-t-il en
s’exclamant : « J’ai compris ! »
Avec cette erreur il
vient de parcourir 10 kilomètres totalement inutiles et tout ça avec
un dénivelé total de 500 mètres. Sur une journée déjà bien chargée
cela représente une énorme surcharge, il le ressentira d’ailleurs
encore les jours suivants.
Ces quelques lignes qui
précédent en disent long sur le gaspillage de forces consacrées à
refaire le passé. Quelqu’un l’a déjà dit avant moi, mais ça vaut la
peine de le répéter, l’humain a l’art de se gâcher son présent en
ayant peur que son futur ressemble à son passé. Aujourd’hui Mat a
deux Arcanes devant lui, le Mat tourné vers le futur et l’Hermite
vers le passé, admirez ce qu’il a fait de son début de journée, cela
se passe de commentaire.
Plus tard dans la
journée, Mat croisera la chapelle St Roch, elles sont nombreuses sur
le chemin, mais celle-ci est particulière ; Roch en traversant la
région de la Margeride s’est arrêté ici. La place des prêches lui
est dédiée et la fontaine déborde d’eau miraculeuse.
Le hasard n’existe pas,
qui a donc fait que Mat passe par ce haut lieu du culte de St Roch
justement le jour où il tire les deux pèlerins du Tarot ?
Il faudrait même plutôt
dire, qui a fait qu’il tire les deux pèlerins du Tarot justement le
jour où il passe par ce haut lieu ?
Le Monde
Quelques jours se sont
écoulés et pour cette nouvelle aube Mat tire la carte du jour dès
son lever.
Le Monde apparaît, avec
autant de promesses que l’aurore qui progresse vers la clarté du
jour. Mat se dit que cette journée sera facile et pleine de bonnes
surprises.
La nuit déjà fut
agréable et reposante. Il a dormi dans un gîte à la ferme
particulièrement accueillant et dont les propriétaires sont des gens
d’une richesse d’âme profondément touchante. Un couple
d’agriculteurs qui, par sa simplicité et son authenticité, est
capable de réconcilier les pires mécréants avec toutes les croyances
du monde.
Avec ce couple,
l’esprit du chemin, l’ouverture au prochain, le respect de la vie
sont présents sur chaque parcelle de leur ferme.
D’ailleurs, ce matin
Mat fait un grand tour sur le domaine pour saluer les propriétaires,
tant il aurait été incongru de partir sans leur adresser un immense
merci à la mesure de leur Âme.
Les premiers kilomètres
marquent une légère descente et l’allure est rapide. Comme à chaque
fois depuis le départ, Mat se demande ce que la carte du jour pourra
bien lui réserver.
Il pense à Déméter dont
le mythe habite la carte du Monde ; nous sommes en été, en pleine
fenaison, les céréales commencent à se dorer, les fruits et les
baies sont formés, il ne leur reste plus qu’à mûrir, c’est Déméter
dans toute sa splendeur.
Le couple d’agriculteur
et l’attention qu’ils donnent à leur travail comme à son produit
sont un hommage à Déméter. Pour parfaire le décor, cette année les
foins sont exceptionnels. Mat s’aventure même à s’imaginer qu’il
aimerait être un bovin durant un instant, uniquement pour goûter au
bonheur de plonger son museau dans un foin d’une telle qualité.
Il est tellement
obnubilé par Déméter, qu’il ne voit que ses cadeaux, sa richesse, sa
verdeur et tous les fruits de ses entrailles. Il en est imprégné à
tel point qu’il espère découvrir après chaque côte, virage et autres
passages, un don du ciel.
Il imagine un comptoir
proposant des produits locaux, du bon vin, de l’eau fraîche et tous
les bienfaits que la terre peut offrir.
La suite de la journée
lui apprendra qu’il convient de cerner entièrement un mythe avant de
s’y abandonner avec l’idéalisme dont il peut être capable ; l’excès
de confiance l’habite très souvent et cela pourrait lui jouer des
tours !
Pour l’heure, Mat est
encore dans l’allégorie et pense toujours que grâce à la carte du
Monde il n’a aucun souci à se faire pour cette journée.
Enfin !
Se dit-il, Le Monde
c’est tout ce que le ciel te donne ! C’est ce que tu attends sans
jamais avoir osé le demander ! C’est la protection Divine offrant le
meilleur que l’on puisse espérer ! La cerise sur le gâteau ! etc.
etc… Il ne manquerait plus que les violons pour que Mat
s’envole dans une coupe d’ambroisie.
Jusqu’en milieu fin de
matinée, Mat boit du petit lait tant la campagne est belle, le ciel
bleu, le chemin ombragé ; il traverse des bois aux senteurs de
montagne mélangeant sublimement les parfums d’humus et de résines.
Il se comporte en véritable patachon se gavant sans réelle
conscience de tout ce qui vit derrière ces cadeaux de la nature.
On ne peut pas vraiment
lui reprocher sa béatitude devant tant de beauté, il est terrien
avant tout et l’humain a une grande faiblesse : son humanité.
A l’approche de midi,
le soleil commence à peser sur la tête. Le chemin, bien que
traversant des forêts, procure de moins en moins d’ombre. Au fur et
à mesure que Mat avance, le terrain devient de plus en plus clair,
les pistes qu’il suit se transforment petit à petit en champs de
pierrailles blanches. Le reflet du soleil sur le sol couleur de
chaux attaque la peau et les yeux comme en plein désert, et pour
compenser cette chaleur Mat boit de plus en plus. Voyant sa réserve
d’eau vertigineusement diminuer, il commence à chercher des points
d’eau pour se réapprovisionner.
Mat découvre alors le
résultat de son excès de confiance. Tellement certain que le Monde
le protégerait durant toute cette journée, abusé par une nature
verdoyante, égaré par tous les cadeaux de Déméter et habitué à
l’abondance d’eau des jours précédents, il n’a pas réalisé ce que
tous les guides signalent pourtant bien : cette étape ne comporte
aucun point d’eau du 5ème au 25ème kilomètre.
Fâché contre lui-même,
Mat se résigne et avance en s’épargnant les efforts pour éviter de
trop transpirer. Il se dit que c’est peut-être une astuce à
découvrir. Le Monde lui suggérerait de demander de l’aide, mais il
ne croise personne. Alors il fait amende honorable en marchand
machinalement comme un forçat.
Pour lui, le boulet au
pied ressemble à son ingénuité. Cette abondance sans eau potable
place Mat devant son insouciance. Il a osé penser que les choses se
feraient toutes seules, osé imaginer qu’il serait protégé sans
bouger le petit doigt, et cela uniquement parce que la carte du
Monde est passée entre ses doigts ce matin-là !
Heureusement que sa détermination est
sans égale et que le moteur qui ronronne dans ses tripes continue
sans relâche à le faire avancer vers son but. Sans cette volonté,
peut-être que Mat se retrouverait assis sur le bord de la piste en
attendant qu’un miracle se produise.
Pour Mat la leçon du jour tient en une
phrase connue de tous : « Aide-toi et le ciel t’aidera ».
Bien sûr que le Monde apporte la
protection, les cadeaux du ciel, les bonnes surprises etc. mais il
ne peut les donner qu’aux personnes méritantes, celles qui ont fait
le nécessaire pour que ça marche, celle qui ne compte pas sur la
providence mais sur leurs propres efforts. Et si le regard du divin
s’arrête sur elles, alors c’est tout béni !
Alors attention avec le Monde, Déméter
provoqua aussi la famine avant de donner toutes ses richesses !
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Giovanni David Valente Tout droit réservé
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