Avec le Mat à Compostelle
....Récit....

Chapitre VII

Entre authenticité et camouflage

La Papesse

Ce matin, Mat est parti avant le lever du jour, cela tombe bien à double titre :

1- il est pressé de s’éloigner de cet endroit insalubre.    2- l’étape dépasse les 30 kilomètres et sera donc longue.

 Sans s’en rendre compte, Mat a commencé à s’interroger sur sa vie intime, ses secrets, ses fantasmes, les actes dont il n’est pas fier et tant d’autres choses qu’il ne peut partager avec personne. Il se passe et se repasse les facettes de sa vie intime, autant ses pensées que ses actes, en cherchant simplement à se comprendre.

En faisant cet exercice il se sent en porte-à-faux entre l’Hermite et la Papesse, car sa vie secrète ne date pas d’aujourd’hui, et le fait d’y penser le plonge automatiquement dans son histoire ; celle-ci a tout de même souvent été influencée par des décisions concernant sa vie intime ! Alors peut-être est-ce pour cela que ces idées lui traversent l’esprit justement aujourd’hui ? Jour de la Papesse.

Peut-être doit-il regarder la part secrète avant d’examiner le chemin parcouru ?

 Étant toujours enfermé dans sa vie intime après de nombreuses heures de marches, il se convint que la Papesse est présente aujourd’hui pour qu’il apprenne à décoder sa vie secrète. Être au clair dans son Être présent pour passer plus tard au delà des colonnes du temple.

En moulinant toutes ces idées, Mat perçoit les différentes façons qu’il a de gérer les Arcanes qu’il rencontre.

Parfois, il les observe et les lit comme s’il était spectateur, d’autres fois, il tente de les vivre en restant lui-même le Mat, et d’autres fois encore, comme en ce moment, il cherche à entrer dans le personnage sans garder ses prérogatives de Mat.

A ce stade, il se dit que ce doit être compliqué de trier tout cela. Mais le Tarot est le reflet de la vie et sa relation au Divin, et cette relation ne saurait être un livre hyper structuré où chaque chose tiendrait une place immuable. Décoder le Tarot requiert de l’empathie et ce n’est pas ce que le livre dit qui a priorité, mais bien ce que dit le Tarot.

 Comme il plonge de plus en plus dans le personnage de la Papesse pour lire son propre livre, il se renferme de plus en plus ; son contact avec les pèlerins qu’il croise n’est plus le même. Il est plus distant, plus froid, plus observateur. D’ailleurs, les pèlerins qu’il voit depuis plusieurs jours ont aussi changé de comportement avec lui. Ce n’est pas qu’ils le fuient, mais la chaleur humaine des jours précédents n’y est pas plus.

C’est vrai que la Papesse n’est pas l’Arcane le plus chaleureux, ni le plus sympathique de la grande famille. Alors il accepte cet isolement qui est certainement un effet collatéral, lorsque l’on étudie le fondement des choses.

 En fin de journée, Mat décide de dormir en bivouac la nuit prochaine. Il a encore besoin de rester seul, mais cette fois, pour lire un livre réel, tangible, qui justement parle du tarot.

Donc, avant la soirée il passe s’approvisionner au magasin de la bourgade qu’il traverse. Un nombre important de clients est déjà à la caisse et l’attente est relativement longue.

Parmi les clients encore dans les rayons, Mat remarque une femme à l’allure de fausse gitane. Elle porte un bandana jaune et rouge rassemblant des cheveux crêpés. Une touffe dépasse de chaque coté pour former des œillères, comme la Papesse. Elle est parée de bijoux ésotériques coûteux mais de mauvais goût et son regard transperce la chair sans atteindre l’Âme.

Mat a le flair et l’odorat d’un canidé concernant les voyantes qu’il détecte à grande distance et ce personnage qu’il observe est une voyante à 100%. Leur présence le dérange énormément car, la majorité d’entre elles lui font une mauvaise réputation d’anarchiste et autre instable, irresponsable etc.…. Il préfère les savoir loin de lui et lorsqu’il ne peut les éviter, il se met en mode défense.

À la caisse, la pseudo gitane se retrouve derrière Mat et trépigne d’impatience. Non qu’elle soit pressée, car avant d’être dans la file d’attente elle prenait tout son temps. Mais Mat a le sentiment (on devrait dire la certitude) qu’elle ne supporte pas d’attendre et surtout pas d’être derrière, après les autres, il semble que son ego soit aussi impétueux que les couleurs de son bandana.

Elle est si agaçante avec ses manifestations d’impatience que Mat se demande si elle lui demandera de passer devant lui ou si elle forcera le passage. Mouvement qu’il accepterait certainement avec grand plaisir, afin de ne plus l’entendre trépigner. La réponse sera d’une clarté indéniable mais en attendant elle continue à trépigner. Mat plaisante intérieurement en imaginant Gaïa dans sa danse créatrice. Il se dit même que la mauvaise pente du monde ne le surprend plus si nous sommes bien en présence de la représentation de Gaïa.

C’est un méchant jugement, mais Gaïa est présente dans La Papesse, et la voyante est également présente dans La Papesse, par Tarot interposé. Alors il commence à chercher le moyen de cesser sont jugement, ses a priori contre les voyantes. Le chemin est difficile mais il finit par s’en accommoder ; « aussi longtemps que je ne suis pas directement atteint, je n’ai rien à dire », pense-t-il.

 Lorsque le tour de Mat arrive, la caissière enregistre consciencieusement les produits posés sur le tapis, mais hors du champ de vision de Mat.

Quel n’est  pas l’étonnement de Mat lorsqu’il s’aperçoit que les produits en question ne sont  pas les siens ! Examinant le tapis il constate que ceux-ci y sont encore, posés après la séparation « client suivant »; il s’adresse donc à la cliente précédente pour lui signaler son oubli ; mais celle-ci ne reconnaît pas ses achats, ces articles ne sont pas à elle !

Alors, regardant derrière lui, Mat voit la gitane de cirque, les mains vides, le fixant avec défiance et engageant un mouvement pour avancer vers la caissière.

Mat s’exclame en libérant sa surprise ;

« Ha ! Alors celle-là on ne me l’avait encore jamais faite ! »

La gitane à l’allure de Papesse avait posé ses achats devant ceux de Mat sur le tapis. En quelque sorte, elle lui passait devant en agissant dans son dos.

 La caissière, qui connaissait apparemment la gitane d’opéra et son astuce, écarte immédiatement ses achats en annulant l’opération et s’occupe ensuite des achats de Mat. Ce faisant, elle ne manque pas de s’exprimer à son tour :

« Laissez ! Elle n’a qu’à attendre comme tout le monde »

 La scène que Mat vient de vivre reflète à un tel point la mentalité de ces fausses gitanes se prenant pour des Papesses, qu’il en a la tête qui tourne ; comme si ces quelques minutes étaient suspendues dans le temps et qu’il faille revenir sur terre.

Il vient d’assister à la parfaite expression de la manipulation opérée par celles et ceux qui prétendent être au faîte de la connaissance et de la spiritualité, décorum et aura compris. 

Cette scène lui trottera longtemps dans la tête. Comme par hasard, elle se déroule le jour de la Papesse, il doit donc la lui attribuer. Mais quelques remarques lui taraudent l’esprit.

Il est inquiétant de voir combien les personnes qui approchent la connaissance tombent rapidement dans la relation de pouvoir. Il est tout aussi inquiétant de constater combien celles qui pensent détenir la connaissance déchoient presque toujours dans l’irrespect, comme si elles étaient devenues des dieux pour qui l’humanité ne serait qu’un ramassis de créatures inférieures, à leur service.

Une véritable Papesse sait que la connaissance ne doit pas s’octroyer le pouvoir mais au contraire offrir la possibilité de servir la création, donc le Divin.  

C’est d’ailleurs pour cette raison que la Papesse garde l’entrée du temple. La connaissance qu’elle protège est si puissante que seuls des Êtres pures devraient y accéder.

Bien que la majorité des gens entrent dans ce temple avec de bonnes intentions, ils ne sont le plus souvent pas encore mûrs pour cela. Les facilités et les sirènes du pouvoir l’emportent généralement très vite.  

Il faut reconnaître que la frontière entre ombre et lumière est particulièrement ténue. La Papesse devant le voile du temple, ce si mince filtre de tissu, représente parfaitement cette dangereuse proximité.

La genèse nous en parle avec Lucifer, il était le plus proche, mais il a préféré se dresser en opposant. 

Alors Mat repense maintenant à toutes ces Papesses qu’il a rencontrées depuis qu’il habite le Tarot. Il se chagrine que si peu d’entre elles soient restées dans la lumière. La possibilité de guider l’autre devient rapidement domination et se transforme en glissade vers l’orgueil et l’ivresse du pouvoir.

Il se désole aussi de la mauvaise utilisation qui est faite de sa grande famille, les 22 Arcanes du Tarot. La Papesse représentant la connaissance du Tarot, son étude aussi, sa rencontre devrait ouvrir la réflexion sur le devenir, l’évolution de l’Être, et non sur son avenir.

Même les dieux, toutes mythologies confondues, ne peuvent connaître l’avenir. Alors il est légitime de penser que l’humain est bien naïf d’imaginer pouvoir le connaître. Au même titre que certains humains sont bien orgueilleux de prétendre pouvoir le prédire.
 

L’Amoureux

Après l’épisode de la voyante, la veille au super marché, Mat prend conscience de l’importance de faire ses choix. Il côtoie en permanence ce monde flottant entre obscurité et illumination. Il se confronte souvent à des stratégies contraires à sa vision. Lui-même peut nourrir le karma collectif quand, à force de déceptions, il verse dans le défaitisme, et selon l’aspect, même dans la colère.

C’est certainement pour cette raison que ce matin le Tarot lui présente l’Amoureux.

 Certains mondes, même s’ils se ressemblent, ne sont pas faits pour se mélanger. L’eau et l’huile ne se mélangent pas, la solution reste hétérogène et pourtant tous deux sont liquides. Cependant, il est aussi vrai qu’avec des procédés moléculaires on parvient à les émulsifier ensemble. Mais laissez-les reposer, ils finiront par se séparer ; le plus dommage est qu’après cela, tous deux seront souillés de l’autre ; ils auront perdu leur pureté.

À cette dernière phrase Mat réagit, il se rend compte qu’il est devenu dépendant d’un univers auquel il ne s’identifie pas, mais il comprend que s’il ne choisit pas son camp, il sera toujours marqué par celui qu’il réfute.

 L’amoureux suggère de faire ses choix avec son cœur ; dans son imagerie personnelle, Mat visualise très bien les deux directions exprimées sur l’Arcane. Le moment venu, il n’aura aucun mal à choisir son camp, mais il veut être certain de le faire avec son cœur et ses tripes, et pas uniquement sous l’effet de la séduction.

La femme de gauche appartient à l’évidence au même camp que la voyante de la veille, justement l’univers qu’il veut abandonner, celui des Papesses inversées. Alors que la jeune fille de droite appartiendrait plutôt à la lignée de Tempérance ou de l’Étoile. Tempérance pour les thérapies naturelles et l’Étoile pour l’authenticité, et aussi parce qu’elle est sa bien-aimée. Mais la mariée est toujours belle, alors il tarde encore.

 Durant la journée, il n’a pas eu plus de choix à faire que d’habitude. Par contre, il espérait secrètement expérimenter l’autre facette de l’Arcane, une rencontre amoureuse, par exemple avec une étoile.

Il a dû déchanter, l’Amoureux représente bien plus souvent des choix que des rencontres amoureuses, alors ce sera peut-être pour une autre fois. 

Le soir venu, il lui a été imposé de faire un choix de taille. Les gîtes n’étant pas assez grands, les pèlerins se sont divisés en deux groupes, le gîte A et le gîte B.

C’est un choix déchirant car il aime tous les autres pèlerins qu’il côtoie durant la journée et ne veut exclure personne. Le choix d’un groupe implique automatiquement la mise à l’écart de l’autre groupe. Alors que faire ? 

Il décide de ne pas choisir un groupe en fonction des affinités, mais de choisir le gîte qui lui plaît. Il préfère le gîte avec le jardin sauvage et quelques arbres fruitiers bien garnis plutôt que le gîte le plus confortable, ainsi il n’a pas eu à écarter telles ou telles personnes. 

Après coup, en y regardant bien, Mat se rend compte qu’il a fait le bon choix. Il se trouve que les membres de l’équipe ayant fait le même choix que lui, sont ceux qui lui ressemblent le plus, les plus originaux, un peu marginaux, simples et authentiques.

Il vient d’expérimenter la vraie qualité d’un choix. Si celui-ci est fait avec le cœur, on rencontre les gens dont le cœur vibre dans le même sens ; CQFD.

 

Le Diable

C’est une journée bizarre, est-ce à cause du diable tiré le matin que Mat est parcouru par des idées lubriques, ou le diable s’est-il présenté pour mettre cette concupiscence en évidence ? 

Quoi qu’il en soit, durant toute la journée Mat regarde les femmes avec les pulsions de son corps et bien entendu les rencontres et affinités se font sous leur  influence. 

La situation n’est pas facile à gérer car il est tout de même en pèlerinage, au demeurant un pèlerinage chrétien. Alors les coups de boutoir du diable sont plutôt mal venus.

Même sans l’aspect religieux, ses pulsions commencent à le déranger ; non qu’il veuille jouer les prudes, mais il est attiré vers l’Étoile et tout ce qui vibrent en lui aujourd’hui, il voudrait le partager avec elle.  

Mat imagine ce que cette journée aurait pu être si la veille, la journée de l’Amoureux, il avait rencontré l’Étoile. C’est que le Diable et l’Amoureux, s’ils sont bien aspectés, font un assemblage des plus ardents. Le don et l’abandon de soi à l’élu(e) de son cœur sont alors accompagnés du désir et des plaisirs terrestres ! C’est l’explosion ! Le corps exulte, l’Âme jubile.  

Une phrase méditerranéenne dit, en parlant de jeunes amoureux fusionnels :

« C’est Dieu qui les a créés, mais c’est le diable qui les a réunis ». Comprenons dans cette phrase que ces jeunes tourtereaux expérimentent ensemble les plaisirs terrestres, dont la sexualité, certainement dans l’excès et quelque chose approchant la « luxure ». Mais ils n’en sont pas moins des créatures divines dans une union bénie par le Divin. 

Le soir, Mat appréhende de s’arrêter dans un gîte. Il se remémore l’épisode de la tenancière de café/bar des premiers jours, et l’idée de pouvoir rencontrer un tel diable le rebute. Mais l’envie de passer une nuit confortable après un bon repas est plus forte. Il tente donc sa chance dans un gîte venant d’ouvrir il y a 1 an, celui-ci devrait encore être géré avec le cœur.

Ce gîte porte un nom céleste puisqu’il s’appelle « l’arc en ciel ». Mat ose même une comparaison scabreuse, mais le clin d’œil lui plait.

Le diable trouve son interprétation négative, la lame inversée, dans les 7 pêchés capitaux ; alors il est permis de penser qu’avec les 7 couleurs de l’arc en ciel nous sommes devant 7 interprétations positives de ce diable, 7 faiblesses trouvant grâce dans les Arcanes célestes.  

Grand bien lui a pris, l’accueil est superbe, les chambres bien décorées, un style très cosy et une maîtresse de maison abondamment chaleureuse. La soirée promet d’être sympathique, ici le mauvais diable peut rester à l’extérieur, il est dépassé par l’harmonie dans laquelle sont présentés les plaisirs terrestres. Ici le diable peut certes nous tenter en éveillant nos sens, mais dans la mesure où nous pratiquons l’épicurisme, le vrai, c'est-à-dire sans excès, il ne peut agir ! 

Durant le repas, Mat entend parler d’une nouvelle pratique de l’agriculture industrielle qui devrait faire frémir de honte tout le genre humain. Mat baptise cette pratique « les voleurs de pluie ».

Nous pouvions déjà observer depuis quelques jours que le sol manquait cruellement d’eau, au point d’être craquelé, même en sous bois alors qu’il ne s’agit pas d’une année de sècheresse.

La pratique en question est celle-ci : les régions les plus à l’Ouest, la direction d’où viennent les nuages, lancent des fusées anti-grêles dès que des nuages passent au-dessus de leur tête, et ceci même si le risque de grêle est inexistant. Cela a pour effet de percer les nuages et ainsi de provoquer les averses avant que ceux-ci ne rentrent vers l’intérieur des terres.

Bien entendu, les régions incriminées nient les faits, prétendant faire de la prévention, mais cette pratique et son intention sont indéniables. Mat le constatera en traversant les régions en question. Il est évidant que ces fusées sont lancées alors qu’il n’y a pas de risque. Mais comme ces régions font de la monoculture de maïs et que c’est la plante la plus gourmande en eau, la boucle est bouclée. Pour appuyer ce constat, ces contrées consomment immensément plus d’eau que ce que l’équilibre naturel apporte depuis des millénaires, alors que leurs sols, cultivés ou non, ne souffrent aucunement de la sécheresse.  

Dans cette pratique, nous voyons se manifester l’œuvre du Diable. Nous pouvons même le visualiser le cigare à la main, le visage bouffi de toutes les graisses qu’il consomme, la lèvre charnue encore souillée des cadavres d’animaux qu’il sur engraisse pour ensuite les surconsommer, le costume griffé, la montre de luxe et les clés de la grosse berline bien en évidence. Fier de tout l’argent qu’il gagne en ayant réécrit les lois de la nature, fier du sale tour qu’il joue au créateur, son créateur.

Ce Diable, nous pouvons très facilement le voir tous les jours dans la société, il affiche en général un grand sourire en déclarant : « Mais nous respectons scrupuleusement la loi ! » 

Tout cela, Mat a pu le constater quelques jours plus tard alors qu’il traversait les régions incriminées ; lors d’un passage de nuage qui ne menaçait aucunement de virer en grêle, une trentaine de tirs de fusée ont provoqué des averses bien nourries. Au fait, Qui paie ? Et combien ça pollue ?

C’est vraiment un sale tour contre le créateur, le Diable peut assurément être fier de lui.
 

Le Monde

Il est surprenant d’observer que depuis quelques jours, les Arcanes gardent un lien d’un jour à l’autre. Hier, Mat a tiré le Diable, le grand contradicteur, et aujourd’hui comme une réponse du maître, c’est le Monde qui apparaît. 

Mat expérimentera le Monde mais en fin de journée seulement, et de façon inattendue.

C’est la ville qu’il découvre et son énergie particulière qui lui rappelleront l’Arcane du jour. 

Cela commence par un accueil digne des portes de l’olympe. L’entrée en ville se fait en traversant un long pont enjambant le Lot. En arrivant de pied ferme au niveau de l’ancien octroi du pont, deux femmes en sortent pour accueillir les pèlerins.

Sans exagération, elles apparaissent à Mat comme deux anges à l’entrée d’un paradis !

Il vient de parcourir une longue crête interminable, sans eau, sa réserve étant épuisée, sans air, sans ombre et sous un soleil de plomb. Il était en train de visualiser le prochain robinet d’eau fraîche, lorsque ces anges lui proposent l’eau convoitée agrémenté de sirop : le rêve ! 

Après quelques échanges et la découverte du plan de la ville, Mat part à la recherche d’un endroit pour se doucher et se reposer. Il a été tellement éprouvé durant cette journée, qu’il ressent un besoin urgent d’ablutions. Comme toujours lorsqu’il entre dans une localité de plus de cinq rues, Mat est un peu décalé. Le bruit, la circulation, les gens qui le toisent comme un vagabond, l’effervescence, tout cela le replace dans l’image du fou. A chaque fois, il reçoit la confirmation que son chemin est vraiment vers les étoiles et l’agitation de la ville le percute de partout. 

Bien qu’il voie, et entende surtout, quelques excités du guidon, il découvre une ville calme tranquille comparée aux autres villes du pays.

Après s’être installé dans un gîte, et compte tenu du relatif calme ambiant, il va tout de même se mélanger à la population. Il découvre de l’harmonie dans les rues mais aussi chez les commerçants, chez qui il ne perçoit pas cette crainte du manque souvent observée chez les marchands.

En parlant avec quelques touristes, il entend des remarques désobligeantes, émises par des esprits chagrins, sur les commerçants locaux. Ces critiques lui permettent d’apprendre une leçon assez intéressante mais surprenante sur l’esprit humain.  

Certains touristes râlent parce que la plupart des boutiques sont fermées à cause du pont du 14 juillet ! Pensez, 1 jour de fermeture en pleine saison touristique ! On entend des remarques du genre « c’est un scandale !», « On voit bien qu’ils sont riches !», « C’est se moquer des touristes ! » etc. etc...

Devant cette levée de bouclier, Mat toujours fidèle à sa différence, ne peut s’empêcher de chercher le point de contradiction. Il découvre alors une logique humaniste, placide. 

Ces commerçants ont une famille et des besoins de repos, ils ont des employés qui ont également de la famille et nécessitent aussi d’un peu de répit. Leur décision de gérer leur vie comme tous les autres travailleurs, en respectant leurs besoins personnels, est une preuve de sagesse et certainement un gage de longévité.

Cette ville a trouvé le juste milieu entre vivre à son rythme et répondre à la clientèle touristique.

C’est aux touristes à s’adapter au lieu qu’ils visitent ; lorsque l’on voyage à Londres, on n’exige pas des anglais qu’ils roulent à droite !

Offrir aux touristes ce que l’on est réellement est-ce vraiment un manque de respect ?

Ne serait-ce pas, au contraire, une grande marque de déférence que de se ménager pour offrir le meilleur de soi, en respectant le besoin de repos et en ne restant pas ouvert pour faire du chiffre à tout prix sur le dos du touriste ?

Quel Rapport avec l’Arcane du Monde ?

Pour adopter cette politique, il faut être en confiance, croire que la vie nous apportera ce dont on a besoin. Accepter d’avoir droit au meilleur. Faire confiance, être soi, regarder son monde avec sérénité.

Croie en toi, fais confiance à la vie, le ciel te donnera ce dont tu as besoin. Cette phrase contient ce que le Monde offre.  

Il n’en fallait pas plus pour que Mat s’intéresse de plus près à cette ville car pour lui, des gens aussi différents ne peuvent qu’être intéressants.

Scrutant alentours, il remarque que les fenêtres et les balcons ne sont que très peu fleuris. Les rues n’affichent pas de décorations mais sont propres. Même les maisons sont bien entretenues, mais sobres.

Par contre, les cours intérieures que l’on aperçoit parfois à la dérobée depuis la rue, sont toutes agréablement décorées et en général avec beaucoup de goût. Le clinquant n’existe pas. Autre manifestation de l’harmonie qui règne ici, la beauté est à l’intérieur, nul besoin d’en imposer. Mat reconnaît là une ambiance en résonance avec le Monde. Ici, les gens ont réalisé la quintessence, ils ne sont plus commandés par l’éclat de la matière, Ils apprécient pleinement ce que le monde leur offre.

Résonance surprenante ! Pourtant, si cette découverte se produit aujourd’hui, cela signifie certainement quelque chose.

Mat n’est pas totalement satisfait, toutes ces observations sont tout de même loin de la vision habituelle du Monde. Alors il creuse encore un peu pour trouver un clin d’œil. 

« Merci mon Dieu ! » Se dit-il intérieurement. « Les chemins de St Jacques sont tout de même extraordinaires, il suffit de demander pour recevoir !». En regardant le plan de ville avec un certain recul, il voit le clin d’œil se dévoiler sous ses yeux.

La ville est à l’intérieur d’un méandre du Lot qui, regardé dans ce contexte, ressemble étrangement à la mandorle du Monde. Les 4 Vivants (4 éléments) sont bien à leur place.

Au Sud, les accès principaux de la ville ouvrent la porte aux cultures et aux commerces : Taureau / Lion ou Terre / Feu.

Au Nord, en inversant* les éléments, nous avons St Marc et l’élément Eau qui pointent, depuis la droite, direction de laquelle arrivent les eaux du Lot, puis l’aigle et l’élément Air qui se placent à gauche, direction d’où vient le vent. 

* Inversion des éléments : Les éléments Eau et Air sont inversés sur la lame par rapport à leur positionnement réel. Pour en avoir la démonstration, imaginez que la mandorle soit prolongée vers le haut en marquant un croisement pour former soit le chiffre 8, soit la lemniscate (le sigle de l’infini) en vertical.

Pour ouvrir la mandorle le plus possible, comme la vie s’ouvre à la vie, faites pivoter la partie supérieure du 8 en ouvrant celui-ci. Ne perdez pas de vue que c’est tout le haut de la carte qui pivote, donc les 2 vivants échangent leur position.
 

Le Pape et la Papesse

Dans cette ville où il se sent si bien, Mat décide de faire un jour de pause.

Il marche beaucoup en ville pour visiter les sites, musées, églises, architecture etc… Il se déplace tellement qu’il parcourt sûrement autant de kilomètres que durant les journées de marche.

Le temps est magnifique, après une journée de chaleur pesante, un léger vent frais s’est levé et les conditions climatiques sont des plus agréables.  

Le soir Mat s’offre un restaurant et va pouvoir observer une caricature abominable du Pape.

Une fois installé, Mat remarque à la table presque face à la sienne un couple improbable dont la disharmonie dérange l’atmosphère.

Un homme de 60-70 ans assis, face au Mat, entreprend une femme assise face à lui, donc tournant le dos à Mat. Bien que ne voyant pas son visage, ses mains, sa peau, sa tenue vestimentaire, sa coiffure et la qualité de ses cheveux laissent supposer une femme de 40 à 50 ans environ, d’une certaine prestance.

L’homme se tient voûté en avant pour parler de très près à sa voisine comme pour lui asséner les paroles qu’il lui débite ; il soutient de grandes théories sur la qualité de la musique, des musiciens, des instruments et surtout des bruits de couloir d’un milieu musical qu’apparemment il côtoie.

Face à lui la femme acquiesce de temps à autre par un léger hochement de tête mais ne dit rien. Mat sait qu’elle ne dit rien tout simplement parce qu’elle n’en aurait pas le temps. Le débit de paroles et de gesticulations qu’émet cet homme est tel qu’il serait impossible à qui que ce soit de répondre ou de participer verbalement à la discussion. Un véritable monologue dont le but n’est pas de partager un savoir ou une connaissance mais d’occuper le terrain en vue de s’y installer.

Peu à peu, l’image d’un Pape abusif et d’une Papesse bien à sa place se dessine. La femme de dos ne fait que capter les paroles comme la Papesse enregistre passivement la connaissance et l’histoire du monde. Pour parfaire le tableau, Mat ne voit toujours pas son visage qui reste caché par ses cheveux longs, raides et denses. Les seules portions de peau qu’il aperçoit sont ses mains. Durant toute la scène, Mat n’a jamais vu son visage, même lorsqu’ils se lèveront pour partir.

Par contre, l’homme, il le voit en long et en large. La chevelure grise, frisée mi-courte, épaisse et aplatie sur le dessus. Des joues sur le point de devenir des bajoues, une bouche très large avec des lèvres rebondies et toujours cette position en avant comme s’il cherchait à happer sa voisine de table.

La scène que Mat observe se déroule en attendant le repas et jusqu’ici le Pape est bien mal inspiré. Cet homme joue au professeur, peut-être même au Pygmalion, mais il n’en a apparemment pas les qualités. 

Lorsque le repas débute, toutes les bonnes intentions de non jugement, d’acceptation des différences, de relativisation et tout ce qui permettrait de malgré tout éprouver de la sympathie pour ce Pape, tout ceci se volatilise à son premier coup de fourchette.

D’un grand geste sûr, l’homme place sa serviette de table en chiffon dans son col en guise de bavette, il empoigne ses couverts, enfonce sa fourchette dans un morceau de viande débordant de son assiette, de l’autre main il entreprend de couper sa viande dans une gestuelle digne d’un violoncelliste, et lorsque le morceau est enfin séparé, il transporte celui-ci à sa bouche qu’il ouvre béante comme une baleine traversant un banc de krill, et tout ceci sans s’arrêter de parler.

L’horreur ne s’arrête pas là ! Ce Pape mange la bouche ouverte (grande ouverte) et ne cesse à aucun moment de débiter ses histoires. Il possède même une extraordinaire technique de passage du bol alimentaire d’un côté à l’autre de la bouche, toujours ouverte et sans s’arrêter une seconde de parler. Il faut vraiment le voir pour y croire ! 

Pour entrer encore plus dans le symbolisme (négatif) de l’Arcane, durant tout ce manège il tient son couteau à pleine main (couteau à viande bien coupant et pointu) en gesticulant sans même se rendre compte qu’il brandit cette lame devant lui comme s’il débroussaillait je ne sais quel passage ; peut-être celui de la communication ou du dialogue, à moins que ce ne soit celui de la vraie transmission, un passage étroit, mais où les flux passent au rythme adéquat ? En tout cas, il en aurait un grand besoin !

Mat aimerait arrêter l’observation de ce massacre, mais sa nature est de regarder devant lui, donc il continue à subir ces images.

Il se console en se disant qu’il aura eu l’occasion de contempler un florilège de ce qu’un mauvais Pape peut faire. Pour garder une note positive, heureusement qu’il voit aussi une Papesse bien à sa place. Du début à la fin de la scène, elle est restée observatrice stoïque, et lorsqu’ils partent, on peut voir une femme dans une démarche calme, noble, sereine, une personne imperturbable ayant passé ce moment comme une scène de la vie quotidienne.

Comme pour garder le côté mystère ou « caché » de la Papesse, Mat ne verra pas son visage. Elle s’est levée et a quitté les lieux sans jamais se retourner. 

Mat ose se poser la question très indiscrète de l’entrée dans le temple : «  La Papesse a-t-elle reçu les réponses permettant l’accès au temple ? » 

Gageons que la réponse restera secrète, on n’est pas papesse pour rien !
 

La Lune 

La météo apparaît capricieuse ce matin, l’air est chargé d’humidité, le ciel doit se deviner, la bruine trempe le sol, le rendant très glissant.

Pour quitter la ville, la première partie du chemin est un passage creusé au flanc d’une falaise surplombant la rivière. Par endroit, une épaisse couche de brouillard rend la visibilité nulle et les marches creusées dans la pierre, devenues glissante avec l’humidité, s’avèrent périlleuses.

Débutant sa journée ainsi, sans réelle visibilité, sur un terrain aventureux, se sachant suspendu entre ciel et rivière, Mat se dit qu’il ne manque plus que les chiens hurlant pour installer l’ambiance de l’Arcane. 

Depuis quelques temps, les pieds de Mat sont endoloris par le battement permanant sur le sol, associé au fait que ses semelles sont de mauvaise qualité. Le chemin des journées précédentes comptait beaucoup de pierrailles et de goudron qui, chauffés par le soleil, se transformaient en véritable poêle à frire la plante des pieds.

N’ayant pu se procurer de nouvelles semelles dans la ville qu’il quitte ce matin, il demande à l’esprit du chemin de lui permettre de trouver une solution jusqu’à la ville prochaine.

Heureusement que la météo du jour est plus fraîche, cela évitera d’empirer la situation. 

Malgré la clémence du temps, les pieds provoquent toujours plus de douleurs au point que son attention n’est occupée que par ça.

Il est le Mat marchand vers Compostelle, il ne va tout de même pas se laisser arrêter par des semelles médiocres ! Alors il pense à St Roch et l’imagine dans la même situation, à son époque, les chaussures devaient aussi faire mal aux pieds. Il ne se serait certainement pas laisser détourner par des pieds endoloris.

Obnubilé par la douleur, Mat se désensibilise par une technique d’autohypnose et accélère le pas pour atteindre une allure de compétition. Seul manque le balancement des hanches, mais il se sent vraiment en course. Pour quelle raison le fait-il ? Il ne le sait pas, mais il veut laisser cette souffrance loin derrière lui et le plus rapidement possible.

A cette allure, il ne tarde pas à rattraper des pèlerins partis avant lui, il est d’ailleurs étonné du nombre d’entre eux à partir aussi tôt ! Il en dépasse une vingtaine, toujours avec la même hâte. Il les entend faire des plaisanteries dans son dos sur les raisons qui pourraient le pousser à s’activer de la sorte. 

Après 2 heures de ce rythme effréné, il voit un homme en bleu de travail se reposant assis sur une pierre en bordure du chemin. Celui-ci arbore une moustache et une chevelure blanche comme neige, sa peau est tannée par le soleil, il a l’œil malicieux et le regard vif.

A son approche, l’homme désigne la pierre à coté de lui et invite Mat à s’y asseoir.

« Viens mon ami, assieds toi un peu, tu m’as l’air bien pressé ! »

Maintenant son allure, Mat lui adresse une réponse à réveiller un psychanalyste.  

« Je te remercie, mais j’ai trop mal aux pieds, il faut que j’arrive vite à ce soir ! »

Et il passe son chemin.

Quelques centaines de mètres plus loin, l’homme en bleu le rattrape et le hèle.

« Hé l’ami, tu n’arriveras pas plus vite à ce soir, mais comme ça, tes pieds tu vas les fusiller bien avant ce soir ! »

Mat l’entend et daigne ralentir le pas ;

« Ha oui, mais qu’est-ce que tu peux pour moi ? T’as des semelles de secours ? »

L’homme répond : « Si tu veux bien t’arrêter, j’ai toutes les semelles que tu veux ! »

Mat supporte difficilement d’être obligé à quelque chose ; devoir s’arrêter alors que sa seule envie est d’avancer, le heurte profondément. Alors il continue, mais plus lentement.

L’homme lui adresse encore la parole : « C’est toi qui vois ! »

Mat comprend tout de même son intérêt et s’arrête enfin de marcher :

« OK ! Moi c’est Mat, explique moi ! »

L’homme en bleu, un vieux de la vieille, se présente à son tour.

« Moi c’est Charly ! Qu’est-ce qu’ils ont tes pieds ? Montre-moi un peu ça ! » 

Charly explique qu’il parcourt le chemin depuis 30 ans, des cloques éclatées aux pieds anéantis par des chaussures et des soins inadéquats, il en a vu plus que les étoiles.

Alors si Mat veut bien reposer ses pieds un instant, il pourra certainement l’aider. Effectivement, Charly fabrique un coussin d’armoise qu’il dépose au fond des chaussures, le soulagement se fera sentir dès les premiers pas.

Sympathisant avec Charly, Mat découvre que celui-ci est pèlerin depuis tellement longtemps qu’il en est presque devenu un vagabond, il vit d’expédiant, de la générosité des gens, des services qu’il rend. Au delà de ça, il transporte des lettres d’intentions qu’il dépose au nom des ses commanditaires à Compostelle, Lourdes et Fatima. Mat vient de rencontrer un vrai pèlerin comme on en fait plus.

La connexion se fait immédiatement entre eux deux et ils marcheront souvent ensemble durant les prochaines journées. Concernant l’Arcane du Jour, Mat se dit qu’il a rencontré son propre reflet. 

Le soir même, alors que Mat vas pour s’inscrire dans un gîte où passer la nuit, l’hôtesse lui demande avec un aplomb étonnant s’il a de quoi payer son lit. Cette remarque prononcée à la cantonade est entendue par toutes les personnes présentes et un silence de gêne se glisse sur l’assemblée. La surprise passée, Mat confirme pouvoir payer puis se retourne vers les autres personnes en demandant s’il paraît si vagabond que ça !

Le silence qu’il reçoit en retour est une réponse assez éloquente pour comprendre la remarque de l’hôtesse.

« Bingo ! » Se dit-il : « Cette fois je suis vraiment Le Mat puisque je ne suis plus le seul à le penser! » C’est peut-être La Lune qui le veut puisque encore une fois je reçois mon reflet.   

L’hôtesse est du genre hyperémotif et les énergies environnantes rebondissent sur elle comme sur un trampoline.

Préoccupée  par un souci avec son enfant, elle est au bord de la panique. Elle semble consciencieuse, le bien-être de ses pèlerins la préoccupe presque autant que son enfant et son émotivité que l’on peut qualifier de « lunaire » la parcourt jusqu’aux bout des ongles.

Sa gaffe vis-à-vis de Mat la perturbe tellement que même lui en est navré pour elle. Elle ne cesse de se confondre en excuses alors que Mat tente de l’apaiser. Bien entendu, il ne peut pas lui avouer les raisons de sa satisfaction, mais par sa question elle venait de lui renvoyer l’image du Mat dans la société : un vagabond errant sans le sous. Pour ne rien gâcher, par son émotivité autant que par son engagement dans l’accueil et le bien-être des pèlerins, elle incarne à merveille l’Arcane du Jour. 

Ce soir-là, Mat ressent l’envie d’aller à la messe. Il y reçoit une grande leçon d’humilité et rencontre un autre Arcane dans une apparence inattendue. Il reconnaît l’Étoile mais dans la peau d’un homme, le prêtre. Mat avait seulement oublié que les intentions comme les personnalités n’ont pas de genre.

Ce ministre du culte est un homme d’une simplicité et d’une authenticité émouvante, il est même un peu gauche tant dans ses mouvements que dans son discours. Mais la sincérité de sa démarche emplit l’église d’une onde de beauté et de joie.

Il nous parle du message de St Benoît et de la lumière qu’apportent les pèlerins et les voyageurs dans la maison qui les accueille. Selon St Benoît, le voyageur est porteur de la parole divine, il convient donc de le recevoir avec la déférence accordée aux sages.

Alors, le prêtre pratique le rite de St Benoît ; avec un carafon il s’agenouille devant chaque fidèle pour lui laver les pieds.

L’image et surtout la vibration de cet instant sont absolument magiques. Les fidèles sont entièrement absorbés par la féerie de cette scène. Plus aucun mouvement ni aucun souffle ne sont perceptibles, on entend uniquement l’eau coulant du carafon, les mouvements du prêtre et les paroles qu’il prononce : un véritable moment d’éternité.
 

La Lune

Aujourd’hui Mat éprouve l’envie de rattraper Charly qui a continué sa route le soir précédant. La cérémonie du lavage des pieds et le message de St Benoît raisonnent encore dans son cœur, il a envie de la partager avec Charly et même de sentir sa sagesse rayonner.

Pour cette journée, Mat inaugure une nouvelle approche. Il désire tellement prolonger la magie de la veille qu’il décide de ne pas tirer de nouvelle carte avant d’en éprouver l’envie. Il débute donc sa journée avec l’Arcane de la veille, La Lune.

 

La journée se passe calmement tout en apportant son lot de découverte. Mat a rapidement la conviction que son choix de garder La Lune est judicieux ; elle confirme sa présence par la sensibilité et l’intuition dont Mat est imprégné.

Le temps est instable, on aperçoit de gros nuages qui se profilent au loin. Mat saura rapidement qu’il traverse en ce moment une région occupée par des voleurs de pluie car les fusées anti-grêles commencent leurs pétarades alors que les nuages sont à quelques kilomètres. Pourtant ceux-ci sont à peine gris, la luminosité est ordinaire, les couleurs sont normales. Il n’y a absolument aucun signe annonciateur d’un risque de grêle. Mais Mat n’est pas dans son pays, il est juste de passage, alors il évitera de se prononcer.

N’ayant pas de tenue pour se protéger de la pluie, Mat aiguise ses sens pour entrer en résonance avec l’environnement. Le but étant de se situer à proximité d’un abri lorsque les averses passeront.

Le résultat est extraordinaire, il laisse parler son intuition sans se poser de question. Lorsqu’une pulsion lui dit d’accélérer le pas, il l’écoute et adopte la cadence que lui dicte son métronome interne. Durant presque 2 heures il traverse une demi douzaine d’averses, en parvenant à chaque fois pile à proximité d’un abri juste avant celle-ci. Pas une goûte de pluie n’est venu le mouiller. Merci la Lune. 

Le Pape et le Diable

Estimant que la Lune lui avait offert tout ce qu’elle pouvait lui offrir pour aujourd’hui, Mat se décide à tirer une nouvelle carte pour la journée, ou plutôt ce qu’il en reste.

Il tire à nouveau la carte du Pape, alors, pour diversifier ses expériences il décide de tirer une 2ème carte et c’est le Diable qui apparait.

Il ressent aussitôt un frisson lui parcourir le dos ; ces deux là ensemble ne présagent rien de bon. Non qu’ils soient obligatoirement négatifs, mais associés, ils sont forcément à la limite entre ombre et lumière.

Peut être est-ce dû à la forte présence lunaire de la veille, mais son intuition lui laisse augurer plutôt la part de l’ombre. 

Bien plus tard Mat retrouvera Charly qui a adopté la même stratégie face à la pluie, sauf qu’il ne le fit pas en accélérant, mais en ralentissant ; lui connaît le chemin depuis le temps.

Il est accompagné de trois pèlerins, des parisiens, deux femmes et un homme. Mat ne les avait pas vus la veille, mais, à les écouter, cela fait plusieurs jours qu’ils bénéficient du bivouac et de l’expérience de Charly. Tous sympathisent, s’échangent leurs impressions jusqu’à ce que Charly, heureux d’avoir tout ce monde autour de lui, propose de faire la fête le soir à son bivouac. Pour lui qui est sans le sou, c’est une bonne occasion. Disant cela, il est important de préciser que Charly a un code d’honneur, il n’est pas un mendiant et donc ne reçoit rien sans donner quelque chose en retour. Il peut s’agir de conseils liés à son expérience, de son hospitalité sous son bivouac, ou bien encore d’indications sur le chemin et ses éventuels pièges, d’une aide pour porter son bagage et autant d’autres choses qu’il sait très bien faire.

Après concertation, il est décidé que le bivouac se monterait après la prochaine localité. Les trois parisiens annoncent alors qu’ils veulent visiter la localité, ils rejoindront le bivouac après. Mat propose donc de faire les achats pour la fête et Charly l’aidera à les transporter. Le partage des frais se fera le soir, quittances à l’appui. 

Charly et Mat font les achats, partent en direction de la sortie de la localité, cherchent un endroit propice non loin du chemin pour monter le campement, et s’installent en guettant le passage des parisiens.

Lorsque ceux-ci apparaissent, Charly et Mat les appellent pour signaler leur position. Sans même avoir le temps d’apprécier l’instant, Mat reçoit instantanément la confirmation de la pertinence de son lourd pressentiment.

La scène qui suit est indigne pour des pèlerins, mais serait en revanche très parlante dans un dessin animé qui parlerait par exemple de lâcheté.

Le petit groupe se réunit et adopte immédiatement une posture entre l’affût et le camouflage. Ils regardent autour d’eux comme s’ils ne voyaient pas le bivouac, de loin on peut même observer des gestes très rapides trahissant une discussion fébrile, le tout ramassé et courbé vers l’avant. L’homme, le plus courageux, se redresse de temps à autre pour faire le guet, comme si le groupe se cachait d’un prédateur.

Depuis le campement, l’image est celle d’un petit groupe de lémuriens excités par un danger et hésitant entre la fuite la cachette.

Après ce petit conciliabule, le petit groupe reprend son chemin dans un pas rapide et l’homme, toujours aussi courageux, s’arrête tous les dix mètres pour guetter derrière eux, au cas où ils seraient suivis. L’image des lémuriens prenant la fuite est vraiment parfaite. 

Mat ne l’entend pas de cette oreille, il court à travers champs pour leur barrer la route. Durant cette course, il est surpris d’éprouver un certain amusement de se retrouver dans la peau d’un prédateur en pleine chasse, c’est même hilarant.

Arrivé à leur hauteur, Mat leur demande s’ils sont en train de plaisanter. Malheureusement ce n’est pas le cas, ils fuient vraiment.

-         « Et qu’est-ce que je fais avec les achats pour ce soir ? »

-         « Oh ben….., nous on n’a rien choisi ! »

-         « Je préfère me taire sur ce point, mais Charly, vous n’allez pas le laisser tomber comme ça ? »

-         « Il se débrouille très bien sans nous, et puis nous on veut avancer ! »

Mat rétorque :

-         « mais il est 20 heure ! »

-         « Ça ne fait rien, on avance ! »

Mat perçoit en ce moment sa propre évolution depuis le temps où il était Bateleur. Une telle situation à cette époque l’aurait immédiatement transformé en une sorte de musclor faisant le ménage devant lui. Hors là, il se contente de secouer la tête en retournant au bivouac.

Décidément ! C’est toujours dans les mauvaises situations que Le Mat revient sur ses pas.

Juste pour sourire, il se retourne et regarde le groupe de lémuriens qui continue sa fuite en guettant le « danger ».  

Charly est fâché, Mat aussi. Alors Mat fait le lien entre les Arcanes du jour et l’expérience qu’ils viennent de vivre. Mat se souvient du Mythe du meurtre d’Hiram et la trahison contre celui qui donne avec son coeur.

Très succinctement : Hiram, qui était l’architecte du temple de Salomon, avait beaucoup de considération pour ses ouvriers comme pour le genre humain en général.

Pour valoriser et motiver ses contremaîtres, Hiram leur transmettait la connaissance inhérente à leur corps de métier. Par exemple, il communiquait au charpentier tout ce qu’il devait savoir pour construire des charpentes solides et durables. La connaissance des autres spécialités ne leur étant pas transmise, Hiram pensait que ses contremaîtres seraient à l’abri des tentations du pouvoir.

Malheureusement pour Hiram, le genre humain ne manque jamais d’imagination pour détourner la générosité à son seul profit personnel.

Trois de ses contremaîtres s’unirent pour enlever Hiram dans le but de l’obliger à révéler toute sa connaissance.

Hiram ne cédant pas, ils l’assassinèrent et firent disparaître son corps. 

Qu’il fut trahi par des personnes qu’il a coachées durant quelques jours, Charly peut encore l’accepter, mais que Mat, son ami, ait subi un préjudice lui est plus difficile à supporter et  il en est profondément malheureux.

Pour Mat c’est une fois de plus un excès de gentillesse et de confiance qui lui joue un tour. Dans sa vie de Bateleur il vécut ce genre de situation des dizaines de fois. En général, pour rendre service à tout le monde, il prend en charge les responsabilités et quand les gens ne respectent pas leur engagement, c’est pour sa pomme. 

Mat vient de comprendre quelque chose : toutes ces trahisons qu’il a subies durant sa vie de Bateleur, n’étaient pas dirigées contre lui, c’était seulement dû au fait que ces gens portaient déjà cette graine en eux ; lui ne faisait que l’arroser. Ces gens auraient pu trahir n’importe qui avec la même facilité.

Ce soir, les parisiens, ce n’est pas lui qu’ils ont trahi, mais bien Charly. Pourtant lui en supporte les conséquences financières, comme d’habitude. Il fait confiance à des gens qui ne le méritent pas. Il ne développe aucune méfiance car il pense que les autres sont comme lui, simple, naturel et authentique. Dans l’esprit de Mat, une parole librement donnée est un engagement sans équivoque.

Comme le dit le dicton, il donne à manger des perles aux cochons.

Donc s’il a le droit d’être fâché, c’est en réalité contre lui-même. 

Une observation intéressante est le quotient (2 femmes 1 homme) qui se retrouve presque toujours dans ces trahisons. Que chacun se remémore les grandes trahisons qu’il a subies, celles qui touchent très profondément dans l’affect. Le plus souvent c’est le fruit d’un(e) fomenteur(euse) et 2 suiveurs(euses), et la notion de 2 femmes et 1 homme se retrouve très souvant.

Mat se dit aussi que c’est extraordinaire que cette histoire se passe justement le jour du Pape avec le Diable, car si le mythe d’Hiram habite l’Arcane du Pape, c’est tout de même le Diable qui donne l’impulsion.

L’Arcane du Diable présente bien 3 personnages dont 2 sont manipulés/asservis par le premier.

Les deux cerfs du diable sont déjà potentiellement présents devant le Pape. Ces deux jeunes gens recevant les paroles du Pape peuvent aisément être assimilés aux contremaîtres d’Hiram et une bonne observation de la lame laisse bien suggérer la présence d’un 3ème personnage caché. Celui-ci est le Diable cherchant à détourner les jeunes gens du bon chemin.  

Mat se dit également que dans ces histoires, la seule présence qui soit certaine est justement celle du Diable. Pour le reste, ses mauvaises expérience passées, la naïveté du Bateleur et de Mat est aussi souvent présente, si ce n’est plus souvent, que la trahison d’Hiram.

Ce soir, Mat, Charly et un troisième pèlerin feront la fête avec des vivres à profusion.

 

 

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