Chapitre VII
Entre authenticité et
camouflage
La Papesse
Ce matin, Mat est parti
avant le lever du jour, cela tombe bien à double titre :
1- il est pressé de
s’éloigner de cet endroit insalubre. 2- l’étape
dépasse les 30 kilomètres et sera donc longue.
Sans s’en rendre
compte, Mat a commencé à s’interroger sur sa vie intime, ses
secrets, ses fantasmes, les actes dont il n’est pas fier et tant
d’autres choses qu’il ne peut partager avec personne. Il se passe et
se repasse les facettes de sa vie intime, autant ses pensées que ses
actes, en cherchant simplement à se comprendre.
En faisant cet exercice
il se sent en porte-à-faux entre l’Hermite et la Papesse, car sa vie
secrète ne date pas d’aujourd’hui, et le fait d’y penser le plonge
automatiquement dans son histoire ; celle-ci a tout de même souvent
été influencée par des décisions concernant sa vie intime ! Alors
peut-être est-ce pour cela que ces idées lui traversent l’esprit
justement aujourd’hui ? Jour de la Papesse.
Peut-être doit-il
regarder la part secrète avant d’examiner le chemin parcouru ?
Étant toujours enfermé
dans sa vie intime après de nombreuses heures de marches, il se
convint que la Papesse est présente aujourd’hui pour qu’il apprenne
à décoder sa vie secrète. Être au clair dans son Être présent pour
passer plus tard au delà des colonnes du temple.
En moulinant toutes ces
idées, Mat perçoit les différentes façons qu’il a de gérer
les Arcanes qu’il rencontre.
Parfois, il les observe
et les lit comme s’il était spectateur, d’autres fois, il tente de
les vivre en restant lui-même le Mat, et d’autres fois encore, comme
en ce moment, il cherche à entrer dans le personnage sans garder ses
prérogatives de Mat.
A ce stade, il se dit
que ce doit être compliqué de trier tout cela. Mais le Tarot est le
reflet de la vie et sa relation au Divin, et cette relation ne
saurait être un livre hyper structuré où chaque chose tiendrait une
place immuable. Décoder le Tarot requiert de l’empathie et ce n’est
pas ce que le livre dit qui a priorité, mais bien ce que dit le
Tarot.
Comme il plonge de
plus en plus dans le personnage de la Papesse pour lire son propre
livre, il se renferme de plus en plus ; son contact avec les
pèlerins qu’il croise n’est plus le même. Il est plus distant, plus
froid, plus observateur. D’ailleurs, les pèlerins qu’il voit depuis
plusieurs jours ont aussi changé de comportement avec lui. Ce n’est
pas qu’ils le fuient, mais la chaleur humaine des jours précédents
n’y est pas plus.
C’est vrai que la
Papesse n’est pas l’Arcane le plus chaleureux, ni le plus
sympathique de la grande famille. Alors il accepte cet isolement qui
est certainement un effet collatéral, lorsque l’on étudie le
fondement des choses.
En fin de journée, Mat
décide de dormir en bivouac la nuit prochaine. Il a encore besoin de
rester seul, mais cette fois, pour lire un livre réel, tangible, qui
justement parle du tarot.
Donc, avant la soirée
il passe s’approvisionner au magasin de la bourgade qu’il traverse.
Un nombre important de clients est déjà à la caisse et l’attente est
relativement longue.
Parmi les clients
encore dans les rayons, Mat remarque une femme à l’allure de fausse
gitane. Elle porte un bandana jaune et rouge rassemblant des cheveux
crêpés. Une touffe dépasse de chaque coté pour former des œillères,
comme la Papesse. Elle est parée de bijoux ésotériques coûteux mais
de mauvais goût et son regard transperce la chair sans atteindre
l’Âme.
Mat a le flair et
l’odorat d’un canidé concernant les voyantes qu’il détecte à grande
distance et ce personnage qu’il observe est une voyante à 100%. Leur
présence le dérange énormément car, la majorité d’entre elles lui
font une mauvaise réputation d’anarchiste et autre instable,
irresponsable etc.…. Il préfère les savoir loin de lui et lorsqu’il
ne peut les éviter, il se met en mode défense.
À la caisse, la pseudo
gitane se retrouve derrière Mat et trépigne d’impatience. Non
qu’elle soit pressée, car avant d’être dans la file d’attente elle
prenait tout son temps. Mais Mat a le sentiment (on devrait dire la
certitude) qu’elle ne supporte pas d’attendre et surtout pas d’être
derrière, après les autres, il semble que son ego soit aussi
impétueux que les couleurs de son bandana.
Elle est si agaçante
avec ses manifestations d’impatience que Mat se demande si elle lui
demandera de passer devant lui ou si elle forcera le passage.
Mouvement qu’il accepterait certainement avec grand plaisir, afin de
ne plus l’entendre trépigner. La réponse sera d’une clarté
indéniable mais en attendant elle continue à trépigner. Mat
plaisante intérieurement en imaginant Gaïa dans sa danse créatrice.
Il se dit même que la mauvaise pente du monde ne le surprend plus si
nous sommes bien en présence de la représentation de Gaïa.
C’est un méchant
jugement, mais Gaïa est présente dans La Papesse, et la voyante est
également présente dans La Papesse, par Tarot interposé. Alors il
commence à chercher le moyen de cesser sont jugement, ses a priori
contre les voyantes. Le chemin est difficile mais il finit par s’en
accommoder ; « aussi longtemps que je ne suis pas directement
atteint, je n’ai rien à dire », pense-t-il.
Lorsque le tour de Mat
arrive, la caissière enregistre consciencieusement les produits
posés sur le tapis, mais hors du champ de vision de Mat.
Quel n’est pas
l’étonnement de Mat lorsqu’il s’aperçoit que les produits en
question ne sont pas les siens ! Examinant le tapis il constate que
ceux-ci y sont encore, posés après la séparation « client suivant »;
il s’adresse donc à la cliente précédente pour lui signaler son
oubli ; mais celle-ci ne reconnaît pas ses achats, ces articles ne
sont pas à elle !
Alors, regardant
derrière lui, Mat voit la gitane de cirque, les mains vides, le
fixant avec défiance et engageant un mouvement pour avancer vers la
caissière.
Mat s’exclame en
libérant sa surprise ;
« Ha ! Alors celle-là
on ne me l’avait encore jamais faite ! »
La gitane à l’allure de
Papesse avait posé ses achats devant ceux de Mat sur le tapis. En
quelque sorte, elle lui passait devant en agissant dans son dos.
La caissière, qui
connaissait apparemment la gitane d’opéra et son astuce, écarte
immédiatement ses achats en annulant l’opération et s’occupe ensuite
des achats de Mat. Ce faisant, elle ne manque pas de s’exprimer à
son tour :
« Laissez ! Elle n’a
qu’à attendre comme tout le monde »
La scène que Mat vient
de vivre reflète à un tel point la mentalité de ces fausses gitanes
se prenant pour des Papesses, qu’il en a la tête qui tourne ; comme
si ces quelques minutes étaient suspendues dans le temps et qu’il
faille revenir sur terre.
Il vient d’assister à
la parfaite expression de la manipulation opérée par celles et ceux
qui prétendent être au faîte de la connaissance et de la
spiritualité, décorum et aura compris.
Cette scène lui
trottera longtemps dans la tête. Comme par hasard, elle se déroule
le jour de la Papesse, il doit donc la lui attribuer. Mais quelques
remarques lui taraudent l’esprit.
Il est inquiétant de
voir combien les personnes qui approchent la connaissance tombent
rapidement dans la relation de pouvoir. Il est tout aussi inquiétant
de constater combien celles qui pensent détenir la connaissance
déchoient presque toujours dans l’irrespect, comme si elles étaient
devenues des dieux pour qui l’humanité ne serait qu’un ramassis de
créatures inférieures, à leur service.
Une véritable Papesse
sait que la connaissance ne doit pas s’octroyer le pouvoir mais au
contraire offrir la possibilité de servir la création, donc le
Divin.
C’est d’ailleurs pour
cette raison que la Papesse garde l’entrée du temple. La
connaissance qu’elle protège est si puissante que seuls des Êtres
pures devraient y accéder.
Bien que la majorité
des gens entrent dans ce temple avec de bonnes intentions, ils ne
sont le plus souvent pas encore mûrs pour cela. Les facilités et les
sirènes du pouvoir l’emportent généralement très vite.
Il faut reconnaître que
la frontière entre ombre et lumière est particulièrement ténue. La
Papesse devant le voile du temple, ce si mince filtre de tissu,
représente parfaitement cette dangereuse proximité.
La genèse nous en parle
avec Lucifer, il était le plus proche, mais il a préféré se dresser
en opposant.
Alors Mat repense
maintenant à toutes ces Papesses qu’il a rencontrées depuis qu’il
habite le Tarot. Il se chagrine que si peu d’entre elles soient
restées dans la lumière. La possibilité de guider l’autre devient
rapidement domination et se transforme en glissade vers l’orgueil et
l’ivresse du pouvoir.
Il se désole aussi de
la mauvaise utilisation qui est faite de sa grande famille, les 22
Arcanes du Tarot. La Papesse représentant la connaissance du Tarot,
son étude aussi, sa rencontre devrait ouvrir la réflexion sur le
devenir, l’évolution de l’Être, et non sur son avenir.
Même les dieux, toutes
mythologies confondues, ne peuvent connaître l’avenir. Alors il est
légitime de penser que l’humain est bien naïf d’imaginer pouvoir le
connaître. Au même titre que certains humains sont bien orgueilleux
de prétendre pouvoir le prédire.
L’Amoureux
Après l’épisode de la
voyante, la veille au super marché, Mat prend conscience de
l’importance de faire ses choix. Il côtoie en permanence ce monde
flottant entre obscurité et illumination. Il se confronte souvent à
des stratégies contraires à sa vision. Lui-même peut nourrir le
karma collectif quand, à force de déceptions, il verse dans le
défaitisme, et selon l’aspect, même dans la colère.
C’est certainement pour
cette raison que ce matin le Tarot lui présente l’Amoureux.
Certains mondes, même
s’ils se ressemblent, ne sont pas faits pour se mélanger. L’eau et
l’huile ne se mélangent pas, la solution reste hétérogène et
pourtant tous deux sont liquides. Cependant, il est aussi vrai
qu’avec des procédés moléculaires on parvient à les émulsifier
ensemble. Mais laissez-les reposer, ils finiront par se séparer ; le
plus dommage est qu’après cela, tous deux seront souillés de
l’autre ; ils auront perdu leur pureté.
À cette dernière phrase
Mat réagit, il se rend compte qu’il est devenu dépendant d’un
univers auquel il ne s’identifie pas, mais il comprend que s’il ne
choisit pas son camp, il sera toujours marqué par celui qu’il
réfute.
L’amoureux suggère de
faire ses choix avec son cœur ; dans son imagerie personnelle, Mat
visualise très bien les deux directions exprimées sur l’Arcane. Le
moment venu, il n’aura aucun mal à choisir son camp, mais il veut
être certain de le faire avec son cœur et ses tripes, et pas
uniquement sous l’effet de la séduction.
La femme de gauche
appartient à l’évidence au même camp que la voyante de la veille,
justement l’univers qu’il veut abandonner, celui des Papesses
inversées. Alors que la jeune fille de droite appartiendrait plutôt
à la lignée de Tempérance ou de l’Étoile. Tempérance pour les
thérapies naturelles et l’Étoile pour l’authenticité, et aussi parce
qu’elle est sa bien-aimée. Mais la mariée est toujours belle, alors
il tarde encore.
Durant la journée, il
n’a pas eu plus de choix à faire que d’habitude. Par contre, il
espérait secrètement expérimenter l’autre facette de l’Arcane, une
rencontre amoureuse, par exemple avec une étoile.
Il a dû déchanter,
l’Amoureux représente bien plus souvent des choix que des rencontres
amoureuses, alors ce sera peut-être pour une autre fois.
Le soir venu, il lui a
été imposé de faire un choix de taille. Les gîtes n’étant pas assez
grands, les pèlerins se sont divisés en deux groupes, le gîte A et
le gîte B.
C’est un choix
déchirant car il aime tous les autres pèlerins qu’il côtoie durant
la journée et ne veut exclure personne. Le choix d’un groupe
implique automatiquement la mise à l’écart de l’autre groupe. Alors
que faire ?
Il décide de ne pas
choisir un groupe en fonction des affinités, mais de choisir le gîte
qui lui plaît. Il préfère le gîte avec le jardin sauvage et quelques
arbres fruitiers bien garnis plutôt que le gîte le plus confortable,
ainsi il n’a pas eu à écarter telles ou telles personnes.
Après coup, en y
regardant bien, Mat se rend compte qu’il a fait le bon choix. Il se
trouve que les membres de l’équipe ayant fait le même choix que lui,
sont ceux qui lui ressemblent le plus, les plus originaux, un peu
marginaux, simples et authentiques.
Il vient d’expérimenter
la vraie qualité d’un choix. Si celui-ci est fait avec le cœur, on
rencontre les gens dont le cœur vibre dans le même sens ; CQFD.
Le Diable
C’est une journée
bizarre, est-ce à cause du diable tiré le matin que Mat est parcouru
par des idées lubriques, ou le diable s’est-il présenté pour mettre
cette concupiscence en évidence ?
Quoi qu’il en soit,
durant toute la journée Mat regarde les femmes avec les pulsions de
son corps et bien entendu les rencontres et affinités se font sous
leur influence.
La situation n’est pas
facile à gérer car il est tout de même en pèlerinage, au demeurant
un pèlerinage chrétien. Alors les coups de boutoir du diable sont
plutôt mal venus.
Même sans l’aspect
religieux, ses pulsions commencent à le déranger ; non qu’il veuille
jouer les prudes, mais il est attiré vers l’Étoile et tout ce qui
vibrent en lui aujourd’hui, il voudrait le partager avec elle.
Mat imagine ce que
cette journée aurait pu être si la veille, la journée de l’Amoureux,
il avait rencontré l’Étoile. C’est que le Diable et l’Amoureux,
s’ils sont bien aspectés, font un assemblage des plus ardents. Le
don et l’abandon de soi à l’élu(e) de son cœur sont alors
accompagnés du désir et des plaisirs terrestres ! C’est
l’explosion ! Le corps exulte, l’Âme jubile.
Une phrase
méditerranéenne dit, en parlant de jeunes amoureux fusionnels :
« C’est Dieu qui les a
créés, mais c’est le diable qui les a réunis ».
Comprenons dans cette phrase que ces jeunes tourtereaux
expérimentent ensemble les plaisirs terrestres, dont la sexualité,
certainement dans l’excès et quelque chose approchant la « luxure ».
Mais ils n’en sont pas moins des créatures divines dans une union
bénie par le Divin.
Le soir, Mat appréhende
de s’arrêter dans un gîte. Il se remémore l’épisode de la tenancière
de café/bar des premiers jours, et l’idée de pouvoir rencontrer un
tel diable le rebute. Mais l’envie de passer une nuit confortable
après un bon repas est plus forte. Il tente donc sa chance dans un
gîte venant d’ouvrir il y a 1 an, celui-ci devrait encore être géré
avec le cœur.
Ce gîte porte un nom
céleste puisqu’il s’appelle « l’arc en ciel ». Mat ose même une
comparaison scabreuse, mais le clin d’œil lui plait.
Le diable trouve son
interprétation négative, la lame inversée, dans les 7 pêchés
capitaux ; alors il est permis de penser qu’avec les 7 couleurs de
l’arc en ciel nous sommes devant 7 interprétations positives de ce
diable, 7 faiblesses trouvant grâce dans les Arcanes célestes.
Grand bien lui a pris,
l’accueil est superbe, les chambres bien décorées, un style très
cosy et une maîtresse de maison abondamment chaleureuse. La soirée
promet d’être sympathique, ici le mauvais diable peut rester à
l’extérieur, il est dépassé par l’harmonie dans laquelle sont
présentés les plaisirs terrestres. Ici le diable peut certes nous
tenter en éveillant nos sens, mais dans la mesure où nous pratiquons
l’épicurisme, le vrai, c'est-à-dire sans excès, il ne peut agir !
Durant le repas, Mat
entend parler d’une nouvelle pratique de l’agriculture industrielle
qui devrait faire frémir de honte tout le genre humain. Mat baptise
cette pratique « les voleurs de pluie ».
Nous pouvions déjà
observer depuis quelques jours que le sol manquait cruellement
d’eau, au point d’être craquelé, même en sous bois alors qu’il ne
s’agit pas d’une année de sècheresse.
La pratique en question
est celle-ci : les régions les plus à l’Ouest, la direction d’où
viennent les nuages, lancent des fusées anti-grêles dès que des
nuages passent au-dessus de leur tête, et ceci même si le risque de
grêle est inexistant. Cela a pour effet de percer les nuages et
ainsi de provoquer les averses avant que ceux-ci ne rentrent vers
l’intérieur des terres.
Bien entendu, les
régions incriminées nient les faits, prétendant faire de la
prévention, mais cette pratique et son intention sont indéniables.
Mat le constatera en traversant les régions en question. Il est
évidant que ces fusées sont lancées alors qu’il n’y a pas de risque.
Mais comme ces régions font de la monoculture de maïs et que c’est
la plante la plus gourmande en eau, la boucle est bouclée. Pour
appuyer ce constat, ces contrées consomment immensément plus d’eau
que ce que l’équilibre naturel apporte depuis des millénaires, alors
que leurs sols, cultivés ou non, ne souffrent aucunement de la
sécheresse.
Dans cette pratique,
nous voyons se manifester l’œuvre du Diable. Nous pouvons même le
visualiser le cigare à la main, le visage bouffi de toutes les
graisses qu’il consomme, la lèvre charnue encore souillée des
cadavres d’animaux qu’il sur engraisse pour ensuite les
surconsommer, le costume griffé, la montre de luxe et les clés de la
grosse berline bien en évidence. Fier de tout l’argent qu’il gagne
en ayant réécrit les lois de la nature, fier du sale tour qu’il joue
au créateur, son créateur.
Ce Diable, nous pouvons
très facilement le voir tous les jours dans la société, il affiche
en général un grand sourire en déclarant : « Mais nous respectons
scrupuleusement la loi ! »
Tout cela, Mat a pu le
constater quelques jours plus tard alors qu’il traversait les
régions incriminées ; lors d’un passage de nuage qui ne menaçait
aucunement de virer en grêle, une trentaine de tirs de fusée ont
provoqué des averses bien nourries. Au fait, Qui paie ? Et combien
ça pollue ?
C’est vraiment un sale
tour contre le créateur, le Diable peut assurément être fier de lui.
Le Monde
Il est surprenant
d’observer que depuis quelques jours, les Arcanes gardent un lien
d’un jour à l’autre. Hier, Mat a tiré le Diable, le grand
contradicteur, et aujourd’hui comme une réponse du maître, c’est le
Monde qui apparaît.
Mat expérimentera le
Monde mais en fin de journée seulement, et de façon inattendue.
C’est la ville qu’il
découvre et son énergie particulière qui lui rappelleront l’Arcane
du jour.
Cela commence par un
accueil digne des portes de l’olympe. L’entrée en ville se fait en
traversant un long pont enjambant le Lot. En arrivant de pied ferme
au niveau de l’ancien octroi du pont, deux femmes en sortent pour
accueillir les pèlerins.
Sans exagération, elles
apparaissent à Mat comme deux anges à l’entrée d’un paradis !
Il vient de parcourir
une longue crête interminable, sans eau, sa réserve étant épuisée,
sans air, sans ombre et sous un soleil de plomb. Il était en train
de visualiser le prochain robinet d’eau fraîche, lorsque ces anges
lui proposent l’eau convoitée agrémenté de sirop : le rêve !
Après quelques échanges
et la découverte du plan de la ville, Mat part à la recherche d’un
endroit pour se doucher et se reposer. Il a été tellement éprouvé
durant cette journée, qu’il ressent un besoin urgent d’ablutions.
Comme toujours lorsqu’il entre dans une localité de plus de cinq
rues, Mat est un peu décalé. Le bruit, la circulation, les gens qui
le toisent comme un vagabond, l’effervescence, tout cela le replace
dans l’image du fou. A chaque fois, il reçoit la confirmation que
son chemin est vraiment vers les étoiles et l’agitation de la ville
le percute de partout.
Bien qu’il voie, et
entende surtout, quelques excités du guidon, il découvre une ville
calme tranquille comparée aux autres villes du pays.
Après s’être installé
dans un gîte, et compte tenu du relatif calme ambiant, il va tout de
même se mélanger à la population. Il découvre de l’harmonie dans les
rues mais aussi chez les commerçants, chez qui il ne perçoit pas
cette crainte du manque souvent observée chez les marchands.
En parlant avec
quelques touristes, il entend des remarques désobligeantes, émises
par des esprits chagrins, sur les commerçants locaux. Ces critiques
lui permettent d’apprendre une leçon assez intéressante mais
surprenante sur l’esprit humain.
Certains touristes
râlent parce que la plupart des boutiques sont fermées à cause du
pont du 14 juillet ! Pensez, 1 jour de fermeture en pleine saison
touristique ! On entend des remarques du genre « c’est un
scandale !», « On voit bien qu’ils sont riches !», « C’est se moquer
des touristes ! » etc. etc...
Devant cette levée de
bouclier, Mat toujours fidèle à sa différence, ne peut s’empêcher de
chercher le point de contradiction. Il découvre alors une logique
humaniste, placide.
Ces commerçants ont une
famille et des besoins de repos, ils ont des employés qui ont
également de la famille et nécessitent aussi d’un peu de répit. Leur
décision de gérer leur vie comme tous les autres travailleurs, en
respectant leurs besoins personnels, est une preuve de sagesse et
certainement un gage de longévité.
Cette ville a trouvé le juste milieu entre vivre
à son rythme et répondre à la clientèle touristique.
C’est aux touristes à
s’adapter au lieu qu’ils visitent ; lorsque l’on voyage à Londres,
on n’exige pas des anglais qu’ils roulent à droite !
Offrir aux touristes ce
que l’on est réellement est-ce vraiment un manque de respect ?
Ne serait-ce pas, au
contraire, une grande marque de déférence que de se ménager pour
offrir le meilleur de soi, en respectant le besoin de repos et en ne
restant pas ouvert pour faire du chiffre à tout prix sur le dos du
touriste ?
Quel Rapport avec
l’Arcane du Monde ?
Pour adopter cette
politique, il faut être en confiance, croire que la vie nous
apportera ce dont on a besoin. Accepter d’avoir droit au meilleur.
Faire confiance, être soi, regarder son monde avec sérénité.
Croie en toi, fais
confiance à la vie, le ciel te donnera ce dont tu as besoin. Cette
phrase contient ce que le Monde offre.
Il n’en fallait pas
plus pour que Mat s’intéresse de plus près à cette ville car pour
lui, des gens aussi différents ne peuvent qu’être intéressants.
Scrutant alentours, il
remarque que les fenêtres et les balcons ne sont que très peu
fleuris. Les rues n’affichent pas de décorations mais sont propres.
Même les maisons sont bien entretenues, mais sobres.
Par contre, les cours
intérieures que l’on aperçoit parfois à la dérobée depuis la rue,
sont toutes agréablement décorées et en général avec beaucoup de
goût. Le clinquant n’existe pas. Autre manifestation de l’harmonie
qui règne ici, la beauté est à l’intérieur, nul besoin d’en imposer.
Mat reconnaît là une ambiance en résonance avec le Monde. Ici, les
gens ont réalisé la quintessence, ils ne sont plus commandés par
l’éclat de la matière, Ils apprécient pleinement ce que le monde
leur offre.
Résonance surprenante !
Pourtant, si cette découverte se produit aujourd’hui, cela signifie
certainement quelque chose.
Mat n’est pas
totalement satisfait, toutes ces observations sont tout de même loin
de la vision habituelle du Monde. Alors il creuse encore un peu pour
trouver un clin d’œil.
« Merci mon Dieu ! »
Se dit-il intérieurement. « Les chemins de St Jacques sont tout
de même extraordinaires, il suffit de demander pour recevoir !».
En regardant le plan de ville avec un certain recul, il voit le clin
d’œil se dévoiler sous ses yeux.
La ville est à
l’intérieur d’un méandre du Lot qui, regardé dans ce contexte,
ressemble étrangement à la mandorle du Monde. Les 4 Vivants (4
éléments) sont bien à leur place.
Au Sud, les accès
principaux de la ville ouvrent la porte aux cultures et aux
commerces : Taureau / Lion ou Terre / Feu.
Au Nord, en inversant*
les éléments, nous avons St Marc et l’élément Eau qui pointent,
depuis la droite, direction de laquelle arrivent les eaux du Lot,
puis l’aigle et l’élément Air qui se placent à gauche, direction
d’où vient le vent.
* Inversion des
éléments :
Les éléments Eau et Air sont inversés sur la lame par rapport à leur
positionnement réel. Pour en avoir la démonstration, imaginez que la
mandorle soit prolongée vers le haut en marquant un croisement pour
former soit le chiffre 8, soit la lemniscate (le sigle de l’infini)
en vertical.
Pour ouvrir la mandorle
le plus possible, comme la vie s’ouvre à la vie, faites pivoter la
partie supérieure du 8 en ouvrant celui-ci. Ne perdez pas de vue que
c’est tout le haut de la carte qui pivote, donc les 2 vivants
échangent leur position.
Le Pape et la Papesse
Dans cette ville où il
se sent si bien, Mat décide de faire un jour de pause.
Il marche beaucoup en
ville pour visiter les sites, musées, églises, architecture etc… Il
se déplace tellement qu’il parcourt sûrement autant de kilomètres
que durant les journées de marche.
Le temps est
magnifique, après une journée de chaleur pesante, un léger vent
frais s’est levé et les conditions climatiques sont des plus
agréables.
Le soir Mat s’offre un
restaurant et va pouvoir observer une caricature abominable du Pape.
Une fois installé, Mat
remarque à la table presque face à la sienne un couple improbable
dont la disharmonie dérange l’atmosphère.
Un homme de 60-70 ans
assis, face au Mat, entreprend une femme assise face à lui, donc
tournant le dos à Mat. Bien que ne voyant pas son visage, ses mains,
sa peau, sa tenue vestimentaire, sa coiffure et la qualité de ses
cheveux laissent supposer une femme de 40 à 50 ans environ, d’une
certaine prestance.
L’homme se tient voûté
en avant pour parler de très près à sa voisine comme pour lui
asséner les paroles qu’il lui débite ; il soutient de grandes
théories sur la qualité de la musique, des musiciens, des
instruments et surtout des bruits de couloir d’un milieu musical
qu’apparemment il côtoie.
Face à lui la femme
acquiesce de temps à autre par un léger hochement de tête mais ne
dit rien. Mat sait qu’elle ne dit rien tout simplement parce qu’elle
n’en aurait pas le temps. Le débit de paroles et de gesticulations
qu’émet cet homme est tel qu’il serait impossible à qui que ce soit
de répondre ou de participer verbalement à la discussion. Un
véritable monologue dont le but n’est pas de partager un savoir ou
une connaissance mais d’occuper le terrain en vue de s’y installer.
Peu à peu, l’image d’un
Pape abusif et d’une Papesse bien à sa place se dessine. La femme de
dos ne fait que capter les paroles comme la Papesse enregistre
passivement la connaissance et l’histoire du monde. Pour parfaire le
tableau, Mat ne voit toujours pas son visage qui reste caché par ses
cheveux longs, raides et denses. Les seules portions de peau qu’il
aperçoit sont ses mains. Durant toute la scène, Mat n’a jamais vu
son visage, même lorsqu’ils se lèveront pour partir.
Par contre, l’homme, il
le voit en long et en large. La chevelure grise, frisée mi-courte,
épaisse et aplatie sur le dessus. Des joues sur le point de devenir
des bajoues, une bouche très large avec des lèvres rebondies et
toujours cette position en avant comme s’il cherchait à happer sa
voisine de table.
La scène que Mat
observe se déroule en attendant le repas et jusqu’ici le Pape est
bien mal inspiré. Cet homme joue au professeur, peut-être même au
Pygmalion, mais il n’en a apparemment pas les qualités.
Lorsque le repas
débute, toutes les bonnes intentions de non jugement, d’acceptation
des différences, de relativisation et tout ce qui permettrait de
malgré tout éprouver de la sympathie pour ce Pape, tout ceci se
volatilise à son premier coup de fourchette.
D’un grand geste sûr,
l’homme place sa serviette de table en chiffon dans son col en guise
de bavette, il empoigne ses couverts, enfonce sa fourchette dans un
morceau de viande débordant de son assiette, de l’autre main il
entreprend de couper sa viande dans une gestuelle digne d’un
violoncelliste, et lorsque le morceau est enfin séparé, il
transporte celui-ci à sa bouche qu’il ouvre béante comme une baleine
traversant un banc de krill, et tout ceci sans s’arrêter de parler.
L’horreur ne s’arrête
pas là ! Ce Pape mange la bouche ouverte (grande ouverte) et ne
cesse à aucun moment de débiter ses histoires. Il possède même une
extraordinaire technique de passage du bol alimentaire d’un côté à
l’autre de la bouche, toujours ouverte et sans s’arrêter une seconde
de parler. Il faut vraiment le voir pour y croire !
Pour entrer encore plus
dans le symbolisme (négatif) de l’Arcane, durant tout ce manège il
tient son couteau à pleine main (couteau à viande bien coupant et
pointu) en gesticulant sans même se rendre compte qu’il brandit
cette lame devant lui comme s’il débroussaillait je ne sais quel
passage ; peut-être celui de la communication ou du dialogue, à
moins que ce ne soit celui de la vraie transmission, un passage
étroit, mais où les flux passent au rythme adéquat ? En tout cas, il
en aurait un grand besoin !
Mat aimerait arrêter
l’observation de ce massacre, mais sa nature est de regarder devant
lui, donc il continue à subir ces images.
Il se console en se
disant qu’il aura eu l’occasion de contempler un florilège de ce
qu’un mauvais Pape peut faire. Pour garder une note positive,
heureusement qu’il voit aussi une Papesse bien à sa place. Du début
à la fin de la scène, elle est restée observatrice stoïque, et
lorsqu’ils partent, on peut voir une femme dans une démarche calme,
noble, sereine, une personne imperturbable ayant passé ce moment
comme une scène de la vie quotidienne.
Comme pour garder le
côté mystère ou « caché » de la Papesse, Mat ne verra pas son
visage. Elle s’est levée et a quitté les lieux sans jamais se
retourner.
Mat ose se poser la
question très indiscrète de l’entrée dans le temple : « La Papesse
a-t-elle reçu les réponses permettant l’accès au temple ? »
Gageons que la réponse
restera secrète, on n’est pas papesse pour rien !
La Lune
La météo apparaît
capricieuse ce matin, l’air est chargé d’humidité, le ciel doit se
deviner, la bruine trempe le sol, le rendant très glissant.
Pour quitter la ville,
la première partie du chemin est un passage creusé au flanc d’une
falaise surplombant la rivière. Par endroit, une épaisse couche de
brouillard rend la visibilité nulle et les marches creusées dans la
pierre, devenues glissante avec l’humidité, s’avèrent périlleuses.
Débutant sa journée
ainsi, sans réelle visibilité, sur un terrain aventureux, se sachant
suspendu entre ciel et rivière, Mat se dit qu’il ne manque plus que
les chiens hurlant pour installer l’ambiance de l’Arcane.
Depuis quelques temps,
les pieds de Mat sont endoloris par le battement permanant sur le
sol, associé au fait que ses semelles sont de mauvaise qualité. Le
chemin des journées précédentes comptait beaucoup de pierrailles et
de goudron qui, chauffés par le soleil, se transformaient en
véritable poêle à frire la plante des pieds.
N’ayant pu se procurer
de nouvelles semelles dans la ville qu’il quitte ce matin, il
demande à l’esprit du chemin de lui permettre de trouver une
solution jusqu’à la ville prochaine.
Heureusement que la
météo du jour est plus fraîche, cela évitera d’empirer la
situation.
Malgré la clémence du
temps, les pieds provoquent toujours plus de douleurs au point que
son attention n’est occupée que par ça.
Il est le Mat marchand
vers Compostelle, il ne va tout de même pas se laisser arrêter par
des semelles médiocres ! Alors il pense à St Roch et l’imagine dans
la même situation, à son époque, les chaussures devaient aussi faire
mal aux pieds. Il ne se serait certainement pas laisser détourner
par des pieds endoloris.
Obnubilé par la
douleur, Mat se désensibilise par une technique d’autohypnose et
accélère le pas pour atteindre une allure de compétition. Seul
manque le balancement des hanches, mais il se sent vraiment en
course. Pour quelle raison le fait-il ? Il ne le sait pas, mais il
veut laisser cette souffrance loin derrière lui et le plus
rapidement possible.
A cette allure, il ne
tarde pas à rattraper des pèlerins partis avant lui, il est
d’ailleurs étonné du nombre d’entre eux à partir aussi tôt ! Il en
dépasse une vingtaine, toujours avec la même hâte. Il les entend
faire des plaisanteries dans son dos sur les raisons qui pourraient
le pousser à s’activer de la sorte.
Après 2 heures de ce
rythme effréné, il voit un homme en bleu de travail se reposant
assis sur une pierre en bordure du chemin. Celui-ci arbore une
moustache et une chevelure blanche comme neige, sa peau est tannée
par le soleil, il a l’œil malicieux et le regard vif.
A son approche, l’homme
désigne la pierre à coté de lui et invite Mat à s’y asseoir.
« Viens mon ami,
assieds toi un peu, tu m’as l’air bien pressé ! »
Maintenant son allure,
Mat lui adresse une réponse à réveiller un psychanalyste.
« Je te remercie,
mais j’ai trop mal aux pieds, il faut que j’arrive vite à ce
soir ! »
Et il passe son chemin.
Quelques centaines de
mètres plus loin, l’homme en bleu le rattrape et le hèle.
« Hé l’ami, tu
n’arriveras pas plus vite à ce soir, mais comme ça, tes pieds tu vas
les fusiller bien avant ce soir ! »
Mat l’entend et daigne
ralentir le pas ;
« Ha oui, mais
qu’est-ce que tu peux pour moi ? T’as des semelles de secours ? »
L’homme répond :
« Si tu veux bien t’arrêter, j’ai toutes les semelles que tu
veux ! »
Mat supporte
difficilement d’être obligé à quelque chose ; devoir s’arrêter alors
que sa seule envie est d’avancer, le heurte profondément. Alors il
continue, mais plus lentement.
L’homme lui adresse
encore la parole : « C’est toi qui vois ! »
Mat comprend tout de
même son intérêt et s’arrête enfin de marcher :
« OK ! Moi c’est
Mat, explique moi ! »
L’homme en bleu, un
vieux de la vieille, se présente à son tour.
« Moi c’est Charly !
Qu’est-ce qu’ils ont tes pieds ? Montre-moi un peu ça ! »
Charly explique qu’il
parcourt le chemin depuis 30 ans, des cloques éclatées aux pieds
anéantis par des chaussures et des soins inadéquats, il en a vu plus
que les étoiles.
Alors si Mat veut bien
reposer ses pieds un instant, il pourra certainement l’aider.
Effectivement, Charly fabrique un coussin d’armoise qu’il dépose au
fond des chaussures, le soulagement se fera sentir dès les premiers
pas.
Sympathisant avec
Charly, Mat découvre que celui-ci est pèlerin depuis tellement
longtemps qu’il en est presque devenu un vagabond, il vit
d’expédiant, de la générosité des gens, des services qu’il rend. Au
delà de ça, il transporte des lettres d’intentions qu’il dépose au
nom des ses commanditaires à Compostelle, Lourdes et Fatima. Mat
vient de rencontrer un vrai pèlerin comme on en fait plus.
La connexion se fait
immédiatement entre eux deux et ils marcheront souvent ensemble
durant les prochaines journées. Concernant l’Arcane du Jour, Mat se
dit qu’il a rencontré son propre reflet.
Le soir même, alors que
Mat vas pour s’inscrire dans un gîte où passer la nuit, l’hôtesse
lui demande avec un aplomb étonnant s’il a de quoi payer son lit.
Cette remarque prononcée à la cantonade est entendue par toutes les
personnes présentes et un silence de gêne se glisse sur l’assemblée.
La surprise passée, Mat confirme pouvoir payer puis se retourne vers
les autres personnes en demandant s’il paraît si vagabond que ça !
Le silence qu’il reçoit
en retour est une réponse assez éloquente pour comprendre la
remarque de l’hôtesse.
« Bingo ! »
Se dit-il : « Cette fois je suis vraiment Le Mat puisque je ne
suis plus le seul à le penser! » C’est peut-être La Lune qui le
veut puisque encore une fois je reçois mon reflet.
L’hôtesse est du genre
hyperémotif et les énergies environnantes rebondissent sur elle
comme sur un trampoline.
Préoccupée par un
souci avec son enfant, elle est au bord de la panique. Elle semble
consciencieuse, le bien-être de ses pèlerins la préoccupe presque
autant que son enfant et son émotivité que l’on peut qualifier de
« lunaire » la parcourt jusqu’aux bout des ongles.
Sa gaffe vis-à-vis de
Mat la perturbe tellement que même lui en est navré pour elle. Elle
ne cesse de se confondre en excuses alors que Mat tente de
l’apaiser. Bien entendu, il ne peut pas lui avouer les raisons de sa
satisfaction, mais par sa question elle venait de lui renvoyer
l’image du Mat dans la société : un vagabond errant sans le sous.
Pour ne rien gâcher, par son émotivité autant que par son engagement
dans l’accueil et le bien-être des pèlerins, elle incarne à
merveille l’Arcane du Jour.
Ce soir-là, Mat ressent
l’envie d’aller à la messe. Il y reçoit une grande leçon d’humilité
et rencontre un autre Arcane dans une apparence inattendue. Il
reconnaît l’Étoile mais dans la peau d’un homme, le prêtre.
Mat avait seulement oublié que les intentions comme les
personnalités n’ont pas de genre.
Ce ministre du culte
est un homme d’une simplicité et d’une authenticité émouvante, il
est même un peu gauche tant dans ses mouvements que dans son
discours. Mais la sincérité de sa démarche emplit l’église d’une
onde de beauté et de joie.
Il nous parle du
message de St Benoît et de la lumière qu’apportent les pèlerins et
les voyageurs dans la maison qui les accueille. Selon St Benoît, le
voyageur est porteur de la parole divine, il convient donc de le
recevoir avec la déférence accordée aux sages.
Alors, le prêtre
pratique le rite de St Benoît ; avec un carafon il s’agenouille
devant chaque fidèle pour lui laver les pieds.
L’image et surtout la
vibration de cet instant sont absolument magiques. Les fidèles sont
entièrement absorbés par la féerie de cette scène. Plus aucun
mouvement ni aucun souffle ne sont perceptibles, on entend
uniquement l’eau coulant du carafon, les mouvements du prêtre et les
paroles qu’il prononce : un véritable moment d’éternité.
La Lune
Aujourd’hui Mat éprouve
l’envie de rattraper Charly qui a continué sa route le soir
précédant. La cérémonie du lavage des pieds et le message de St
Benoît raisonnent encore dans son cœur, il a envie de la partager
avec Charly et même de sentir sa sagesse rayonner.
Pour cette journée, Mat
inaugure une nouvelle approche. Il désire tellement prolonger la
magie de la veille qu’il décide de ne pas tirer de nouvelle carte
avant d’en éprouver l’envie. Il débute donc sa journée avec l’Arcane
de la veille, La Lune.
La journée se passe
calmement tout en apportant son lot de découverte. Mat a rapidement
la conviction que son choix de garder La Lune est judicieux ; elle
confirme sa présence par la sensibilité et l’intuition dont Mat est
imprégné.
Le temps est instable,
on aperçoit de gros nuages qui se profilent au loin. Mat saura
rapidement qu’il traverse en ce moment une région occupée par des
voleurs de pluie car les fusées anti-grêles commencent leurs
pétarades alors que les nuages sont à quelques kilomètres. Pourtant
ceux-ci sont à peine gris, la luminosité est ordinaire, les couleurs
sont normales. Il n’y a absolument aucun signe annonciateur d’un
risque de grêle. Mais Mat n’est pas dans son pays, il est juste de
passage, alors il évitera de se prononcer.
N’ayant pas de tenue
pour se protéger de la pluie, Mat aiguise ses sens pour entrer en
résonance avec l’environnement. Le but étant de se situer à
proximité d’un abri lorsque les averses passeront.
Le résultat est
extraordinaire, il laisse parler son intuition sans se poser de
question. Lorsqu’une pulsion lui dit d’accélérer le pas, il l’écoute
et adopte la cadence que lui dicte son métronome interne. Durant
presque 2 heures il traverse une demi douzaine d’averses, en
parvenant à chaque fois pile à proximité d’un abri juste avant
celle-ci. Pas une goûte de pluie n’est venu le mouiller. Merci la
Lune.
Le Pape et le Diable
Estimant que la Lune
lui avait offert tout ce qu’elle pouvait lui offrir pour
aujourd’hui, Mat se décide à tirer une nouvelle carte pour la
journée, ou plutôt ce qu’il en reste.
Il tire à nouveau la
carte du Pape, alors, pour diversifier ses expériences il décide de
tirer une 2ème carte et c’est le Diable qui apparait.
Il ressent aussitôt un
frisson lui parcourir le dos ; ces deux là ensemble ne présagent
rien de bon. Non qu’ils soient obligatoirement négatifs, mais
associés, ils sont forcément à la limite entre ombre et lumière.
Peut être est-ce dû à
la forte présence lunaire de la veille, mais son intuition lui
laisse augurer plutôt la part de l’ombre.
Bien plus tard Mat
retrouvera Charly qui a adopté la même stratégie face à la pluie,
sauf qu’il ne le fit pas en accélérant, mais en ralentissant ; lui
connaît le chemin depuis le temps.
Il est accompagné de
trois pèlerins, des parisiens, deux femmes et un homme. Mat ne les
avait pas vus la veille, mais, à les écouter, cela fait plusieurs
jours qu’ils bénéficient du bivouac et de l’expérience de Charly.
Tous sympathisent, s’échangent leurs impressions jusqu’à ce que
Charly, heureux d’avoir tout ce monde autour de lui, propose de
faire la fête le soir à son bivouac. Pour lui qui est sans le sou,
c’est une bonne occasion. Disant cela, il est important de préciser
que Charly a un code d’honneur, il n’est pas un mendiant et donc ne
reçoit rien sans donner quelque chose en retour. Il peut s’agir de
conseils liés à son expérience, de son hospitalité sous son bivouac,
ou bien encore d’indications sur le chemin et ses éventuels pièges,
d’une aide pour porter son bagage et autant d’autres choses qu’il
sait très bien faire.
Après concertation, il
est décidé que le bivouac se monterait après la prochaine localité.
Les trois parisiens annoncent alors qu’ils veulent visiter la
localité, ils rejoindront le bivouac après. Mat propose donc de
faire les achats pour la fête et Charly l’aidera à les transporter.
Le partage des frais se fera le soir, quittances à l’appui.
Charly et Mat font les
achats, partent en direction de la sortie de la localité, cherchent
un endroit propice non loin du chemin pour monter le campement, et
s’installent en guettant le passage des parisiens.
Lorsque ceux-ci
apparaissent, Charly et Mat les appellent pour signaler leur
position. Sans même avoir le temps d’apprécier l’instant, Mat reçoit
instantanément la confirmation de la pertinence de son lourd
pressentiment.
La scène qui suit est
indigne pour des pèlerins, mais serait en revanche très parlante
dans un dessin animé qui parlerait par exemple de lâcheté.
Le petit groupe se
réunit et adopte immédiatement une posture entre l’affût et le
camouflage. Ils regardent autour d’eux comme s’ils ne voyaient pas
le bivouac, de loin on peut même observer des gestes très rapides
trahissant une discussion fébrile, le tout ramassé et courbé vers
l’avant. L’homme, le plus courageux, se redresse de temps à autre
pour faire le guet, comme si le groupe se cachait d’un prédateur.
Depuis le campement,
l’image est celle d’un petit groupe de lémuriens excités par un
danger et hésitant entre la fuite la cachette.
Après ce petit
conciliabule, le petit groupe reprend son chemin dans un pas rapide
et l’homme, toujours aussi courageux, s’arrête tous les dix mètres
pour guetter derrière eux, au cas où ils seraient suivis. L’image
des lémuriens prenant la fuite est vraiment parfaite.
Mat ne l’entend pas de
cette oreille, il court à travers champs pour leur barrer la route.
Durant cette course, il est surpris d’éprouver un certain amusement
de se retrouver dans la peau d’un prédateur en pleine chasse, c’est
même hilarant.
Arrivé à leur hauteur,
Mat leur demande s’ils sont en train de plaisanter. Malheureusement
ce n’est pas le cas, ils fuient vraiment.
-
« Et
qu’est-ce que je fais avec les achats pour ce soir ? »
-
« Oh
ben….., nous on n’a rien choisi ! »
-
« Je
préfère me taire sur ce point, mais Charly, vous n’allez pas le
laisser tomber comme ça ? »
-
« Il
se débrouille très bien sans nous, et puis nous on veut avancer ! »
Mat rétorque :
-
« mais
il est 20 heure ! »
-
« Ça
ne fait rien, on avance ! »
Mat perçoit en ce
moment sa propre évolution depuis le temps où il était Bateleur. Une
telle situation à cette époque l’aurait immédiatement transformé en
une sorte de musclor faisant le ménage devant lui. Hors là, il se
contente de secouer la tête en retournant au bivouac.
Décidément ! C’est
toujours dans les mauvaises situations que Le Mat revient sur ses
pas.
Juste pour sourire, il
se retourne et regarde le groupe de lémuriens qui continue sa fuite
en guettant le « danger ».
Charly est fâché, Mat
aussi. Alors Mat fait le lien entre les Arcanes du jour et
l’expérience qu’ils viennent de vivre. Mat se souvient du Mythe du
meurtre d’Hiram et la trahison contre celui qui donne avec son
coeur.
Très succinctement :
Hiram, qui était l’architecte du temple de Salomon, avait beaucoup
de considération pour ses ouvriers comme pour le genre humain en
général.
Pour valoriser et
motiver ses contremaîtres, Hiram leur transmettait la connaissance
inhérente à leur corps de métier. Par exemple, il communiquait au
charpentier tout ce qu’il devait savoir pour construire des
charpentes solides et durables. La connaissance des autres
spécialités ne leur étant pas transmise, Hiram pensait que ses
contremaîtres seraient à l’abri des tentations du pouvoir.
Malheureusement pour
Hiram, le genre humain ne manque jamais d’imagination pour détourner
la générosité à son seul profit personnel.
Trois de ses
contremaîtres s’unirent pour enlever Hiram dans le but de l’obliger
à révéler toute sa connaissance.
Hiram ne cédant pas,
ils l’assassinèrent et firent disparaître son corps.
Qu’il fut trahi par des
personnes qu’il a coachées durant quelques jours, Charly peut encore
l’accepter, mais que Mat, son ami, ait subi un préjudice lui est
plus difficile à supporter et il en est profondément malheureux.
Pour Mat c’est une fois
de plus un excès de gentillesse et de confiance qui lui joue un
tour. Dans sa vie de Bateleur il vécut ce genre de situation des
dizaines de fois. En général, pour rendre service à tout le monde,
il prend en charge les responsabilités et quand les gens ne
respectent pas leur engagement, c’est pour sa pomme.
Mat vient de comprendre
quelque chose : toutes ces trahisons qu’il a subies durant sa vie de
Bateleur, n’étaient pas dirigées contre lui, c’était seulement dû au
fait que ces gens portaient déjà cette graine en eux ; lui ne
faisait que l’arroser. Ces gens auraient pu trahir n’importe qui
avec la même facilité.
Ce soir, les parisiens,
ce n’est pas lui qu’ils ont trahi, mais bien Charly. Pourtant lui en
supporte les conséquences financières, comme d’habitude. Il fait
confiance à des gens qui ne le méritent pas. Il ne développe aucune
méfiance car il pense que les autres sont comme lui, simple, naturel
et authentique. Dans l’esprit de Mat, une parole librement donnée
est un engagement sans équivoque.
Comme le dit le dicton,
il donne à manger des perles aux cochons.
Donc s’il a le droit
d’être fâché, c’est en réalité contre lui-même.
Une observation
intéressante est le quotient (2 femmes 1 homme) qui se retrouve
presque toujours dans ces trahisons. Que chacun se remémore les
grandes trahisons qu’il a subies, celles qui touchent très
profondément dans l’affect. Le plus souvent c’est le fruit d’un(e)
fomenteur(euse) et 2 suiveurs(euses), et la notion de 2 femmes et 1
homme se retrouve très souvant.
Mat se dit aussi que
c’est extraordinaire que cette histoire se passe justement le jour
du Pape avec le Diable, car si le mythe d’Hiram habite l’Arcane du
Pape, c’est tout de même le Diable qui donne l’impulsion.
L’Arcane du Diable
présente bien 3 personnages dont 2 sont manipulés/asservis par le
premier.
Les deux cerfs du
diable sont déjà potentiellement présents devant le Pape. Ces deux
jeunes gens recevant les paroles du Pape peuvent aisément être
assimilés aux contremaîtres d’Hiram et une bonne observation de la
lame laisse bien suggérer la présence d’un 3ème
personnage caché. Celui-ci est le Diable cherchant à détourner les
jeunes gens du bon chemin.
Mat se dit également
que dans ces histoires, la seule présence qui soit certaine est
justement celle du Diable. Pour le reste, ses mauvaises expérience
passées, la naïveté du Bateleur et de Mat est aussi souvent
présente, si ce n’est plus souvent, que la trahison d’Hiram.
Ce soir, Mat, Charly et
un troisième pèlerin feront la fête avec des vivres à profusion.
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Giovanni David Valente Tout droit réservé
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